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lyrica-massilia

La folie Carmen à la Tour d’Aigues

24 Août 2023 , Rédigé par Jean-Marie Cabot Publié dans #Festival

Nous sommes allés voir Carmen dans sa version de poche à l'occasion du festival Durance Luberon. La scène est plantée dans le cadre du magnifique château de la Tour d’Aigues, les décors sont minimalistes, trois tentures, rouges évidemment, un banc, la température n’est pas encore caniculaire, l’ambiance, elle, est particulièrement douce. Quelques jours auparavant, un article paru dans le Monde mettait le feu aux poudres dans le landernau de l’art lyrique, vilipendant et dénigrant l’opéra, jugé désuet, élitiste et passéiste, abandonné par son public. La réponse cinglante et courroucée du journal Causeur se répandait alors comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, qui fondait dans la déculturation des nouvelles générations et dans les mises en scène modernes à l’accent wokiste, bien des maux de l’art lyrique…

Le hasard est la politesse des dieux dit-on, Carmen à la Tour d’Aigues, venait donc à point nommé pour répondre aux assertions très convenues des deux contradicteurs. Non l’opéra n’est pas démodé, ni révolu, le public de la Tour d’Aigues peut en témoigner, 800 personnes, dont de nombreux jeunes et même très jeunes pour une petite ville de 4300 habitants… non les mises en scène modernes ne sont pas forcément grotesques, ineptes pour peu qu’elles soient respectueuses et Vladik Polionov, le maître d’œuvre, là encore, nous l’a démontré. Sa vision de Carmen, contemporaine, épurée, est subtile, sensible et fidèle, pas de fioritures mais l’essentiel. Il l’a rappelé dans sa présentation au public tourain, il ne s’agit pas d’aller jusqu’à faire interpréter Don José par une femme mais de rendre l’œuvre encore plus touchante et actuelle et pour cela, la transposer à aujourd’hui. Que les acteurs soient vêtus de jeans, prennent des selfies, portent des lunettes de soleil, renforce la pertinence du message quand il s’agit notamment de dénoncer les féminicides (c’est à ce jour en France, pour l’année, 67 femmes assassinées, il ne faut pas l’oublier).

Mais Carmen est aussi libre, libre d’aimer, libre d’en aimer un autre, si un autre lui plaît 1…voilà peut-être le prodrome d’autres ambitions que soulève l’œuvre… gagner la liberté de jouir, la liberté d’être enfin soi-même…

S’il faut saluer Vladik Polionov pour sa mise en scène, il faut également souligner qu’il fut a l’œuvre brillamment pendant trois heures, concentré derrière son clavier, qu’il fut également à la direction des chanteurs et qu’il lui revint de gérer les impondérables, comme la défection au dernier instant d’un des acteurs pour cause de santé. Sacrés responsabilités qu’il a assumées haut la main. Il a et c’est une excellente initiative, présenté avec simplicité et clarté chaque acte avant qu’il ne débute. Peut-être devrait-on s'en inspirer pour attirer un public un peu plus profane à l’opéra… En tout cas, Bravo à lui.

Julie Robard-Gendre était Carmen, enfin plutôt, elle est Carmen, diabolique et passionnée, sulfureuse, libre et séductrice. Elle possède merveilleusement le rôle, ses regards enflamment la scène, prête à sauter au cou quand elle le décide, de celui qu’elle veut posséder. Son chant impressionne par sa puissance, son volume, son vibrato et la superbe ligne mélodique qu’il déploie.  Don José est interprété par Valentin Thill. On savait qu’il chantait bien et même très bien 2 mais là, il nous a enthousiasmés, non seulement par la beauté et la facilité de sa voix pure et claire mais par l’intensité amoureuse et dramatique qu’il a su donner au personnage. Le final est éblouissant, poignant, quand la passion le pousse à l’Horrible… Charlotte Despaux, dans une œuvre et un rôle qu’elle connaît bien, est Micaella. Innocente, elle est éprise de Don José et, si elle ne vit pas la passion amoureuse de Carmen, elle a su exposer et communiquer, l’émotion, l’empathie de celle qu’on n’a pas envie de voir trompée. Son duo avec Don José , « parle-moi de ma mère » était en tout point formidable, mettant en valeur la sûreté de ses jolis aigus. Florent Leroux Roche est le toréro Escamillo qui embrase Carmen et Don José. Ses graves profonds, puissants, suaves et noirs comme sa chevelure, portent la fierté de celui qui n’a d’égal que la beauté et la bravoure du taureau qu’il combat. Les deux bohémiennes amies de Carmen, Frasquita et Mercedes sont campées respectivement par Pauline Rouillard (soprano) et Marie Pons (mezzo-soprano). Elles étalent tout au long leur formidable complicité, leur espièglerie et distribuent à l’envi, leurs très jolis sourires. Leur contribution vocale et scénique est essentielle. Karine Andreo était Lilas Pastia, rôle parlé de la patronne du café dans lequel se déroule une partie de l’opéra. Côté masculin, les seconds rôles étaient parfaitement assurés par Arnaud Hervé et Norbert Dol, tour à tour militaires (Remendado et Morales) puis contrebandiers et Stéphan Poitevin, une basse, dans le rôle du lieutenant Zuniga. Une mention particulière pour ce dernier qui, chanteur amateur, devait initialement faire Lilas Pastia sans la défection du chanteur prévu.

Le nombreux public (Carmen se jouait à guichets fermés) a chaleureusement acclamé cette version de l’œuvre de Bizet. La cour du château résonnait des longs et nombreux applaudissements destinés à tous les acteurs, l’hommage était amplement mérité… il serait injuste de terminer cet article sans évoquer le festival Durance Luberon, formidable vitrine de la musique et de l’art lyrique en particulier. Merci à Luc Avrial pour son formidable travail.

 

1.Jacques Prévert. Paroles. Chanson du geôlier

2.Valentin Thill Finaliste Concours Voix Nouvelles 2023 https://www.generationopera.fr/voix-nouvelles/edition-2023/decouvrez-les-prestations-des-finalistes

 

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