Ouverture du XVIIIème festival de Musiques interdites. Hommage à Zaderatski
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Mercredi 13 novembre s’est tenue la soirée inaugurale du Festival des Musiques Interdites dans l’amphithéâtre du musée de Marseille.
Devant un public très attentif, Michel Pastor a déclaré ouverte l’édition 2023 et a rappelé le but de ces rencontres très attendues des connaisseurs : la réhabilitation et la diffusion d’œuvres musicales conçues pendant des périodes de dictature et de persécution de leurs auteurs. Il a rappelé avec justesse que la censure frappant dans un premier temps les musiques jugées «dégénérées» ou n’«entrant pas dans la ligne», était souvent un des premiers signes de l'installation des régimes dictatoriaux, et qu’elle était immanquablement suivie d’interdits humains ou raciaux .
Le directeur artistique du festival a ensuite détaillé le programme offert cette année aux Marseillais, dont nous avons publié le détail.
Cette première soirée a été consacrée à Vsevolod Zaderatski, compositeur ukrainien de génie, persécuté par le régime soviétique qui l’avait envoyé deux fois au goulag, lui avait interdit de jouer ses œuvres et avait rayé jusqu’à son nom. Ses premières compositions ont été détruites et sont perdues. Ce n’est que depuis quelques années qu’une partie de son œuvre est enfin redécouverte et se diffuse peu à peu en Europe et dans le monde.
La soirée s’est déroulée en deux temps : d’abord la projection d’un film sur cet artiste puis celle d’un vidéo- concert.
La projection du film « Je suis Libre » de la réalisatrice Anastasia Yakoubek a été un moment fort et émouvant. Ce travail retrace le parcours difficile et les épreuves traversées par cet artiste inclassable. Le fil conducteur de ce documentaire très fouillé est une enquête journalistique qui amène la réalisatrice sur les lieux de vie successifs de Zaderastki, permettant au spectateur de s’imprégner des paysages et de percevoir ce qu’a pu être son environnement. De sa maison natale de Rivne à celle de Lviv où il s’éteignit, entouré de sa femme et son fils, en passant par les vestiges du camps de prisonniers de la Kolyma, on suit l’enquêtrice reconstituant les éléments d’une vie toute entière vouée à la musique, malgré les obstacles que connut celui qui écrivait du fond de sa terrible prison sibérienne :
« Après un an de travaux forcés, mes mains ne sont plus les mêmes. Comment jouer avec ces mains-là ? Que reste-il à un homme affamé et épuisé, enfermé dans ce froid ? Un bout de crayon, des lambeaux de papier et cette musique qui me vient du ciel, brisant le silence. Le silence tue, il nous vide alors que la musique existe au-delà de tout. Contre la désintégration, contre l’annihilation, contre la mort : je suis libre… ».
Zaderastki écrivait pour préserver son humanité. Pour rester un homme.
Pour celles et ceux qui ont déjà eu le privilège d’entendre sa musique, quelle émotion de pouvoir découvrir son beau visage, de découvrir des partitions écrites de sa main ou quelques-unes de ces fameux formulaires de télégrammes du goulag remplis de notes de musique, dérisoires supports de fortune sur lesquels le compositeur écrivit ses fugues et préludes si avant-gardistes… Emotion encore devant les épreuves subies et les témoignages de contemporains et de sa famille dont son fils, musicien lui aussi et professeur au conservatoire de musique de Moscou, qui a tant fait pour faire connaitre enfin l’œuvre de son père.
On apprend aussi au passage que Zaderatski était écrivain, qu’il a notamment composé des nouvelles parues en russe et que nous espérons voir un jour traduites en français.
Ce documentaire a été suivi du vidéo-concert du pianiste Vladik Polioniov interprétant les prélude et fugue n°12. Cet artiste sensible et passionné est au diapason de l’œuvre de Zaderastki. Son interprétation tour à tour puissante et infiniment délicate sert avec virtuosité une partition profondément originale, à la fois rigoureuse et innovante, dans laquelle on ne retrouve aucune influence des grands compositeurs de son temps (pas même celle de Prokofiev) et qui ne cède jamais à cette folle course à la modernité qui influence tant de compositeurs jusqu’à nos jours.
Vladik Polioniov a eu aussi le grand mérite de communiquer son enthousiasme et son admiration à ses collègues des conservatoires de Marseille et d’Aix-en- Provence au point de les convaincre de présenter les 24 fugues et préludes lors du précédent festival de Musiques Interdites. Ces partitions difficiles qui ont demandé un travail important, ont constitué un vrai défi que ces musiciens accomplis ont relevé avec brio pour le plus grand bonheur des festivaliers.
Oui, la musique de Vsevolod Zaderastki parle à ce qui y a de plus profond en nous, et souvent, de plus heureux aussi. Car elle reflétait certes ses souffrances, mais exprimait surtout sa volonté de rester humain, de partager tout ce que la musique peut apporter de perfection, de plénitude, de bonheur et de vie.