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L’opéra s’il vous plait. Plaidoyer pour l’art lyrique de Jean-Philippe Thiellay.

11 Février 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Livres

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Ancien adjoint de Stéphane Lissner à la tête de l’Opéra de Paris, auteur d’ouvrages sur Rossini, Bellini et Meyerbeer, Jean-Michel Thiellay, énarque et ancien Conseiller d’Etat proche d’Edouard Philippe, vient de publier aux Belles Lettres une analyse fouillée de la situation de l’art lyrique en France et dans le monde. Il s’agit d’une lecture à la fois lucide et empathique.

Découpé en cinq actes, comme il se doit pour un opéra à la française, cet ouvrage mérite d’être lu par toutes celles et ceux qui œuvrent à la défense d’une activité à nulle autre pareille, aujourd’hui menacée par la déshérence du jeune public, la crise du langage musical, l’inflation des coûts et la misère des finances publiques.

L’objet de cet ouvrage est d’expliquer par l’histoire et le présent récent, la situation délicate où se trouvent les scènes d’opéra. Le prologue se passe à Marseille où l’auteur, âgé alors de huit ans, se souvient d’une Carmen donnée en 1978, vue à l’opéra avec ses parents. Puis vient un rappel historique de quatre cents ans de miracle lyrique, depuis les premiers opéras baroques. Le chapitre suivant décrit des modèles économiques, considérés comme étant aujourd’hui à bout de souffle. Puis vient le choc culturel avec ce que Thiellay appelle la génération Z, porteuse d’une Cancel culture pouvant remettre en cause le contenu des livrets, ce que Catherine Clément considéra jadis comme « la défaite des femmes » (Grasset 1979). Suivent les « lourdes hypothèques esthétiques » qui pèsent sur ce secteur culturel, avec la question du statut du metteur en scène, une certaine nostalgie de certains pour « l’opéra de grand-papa » et les risques de l’intellectualisme. L’espoir revient avec le quatrième acte et une réflexion sur les manières de sauver le monde de l’opéra hors les murs et en faisant confiance aux artistes pour diminuer, entre autres aspects, leur empreinte carbone.

Il est  banal de souligner que la crise sanitaire aura rendu plus tendue encore la situation des diverses scènes lyriques, celle de Marseille comme les autres. Mais nous en sortons doucement. L’une des pistes que retient l’auteur est d’organiser des réunions de travail entre tous les acteurs, au sens sociologique du terme, pour imaginer des solutions, et ce à toute fin d’éviter que la programmation ne se réduise comme peau de chagrin. Cette programmation doit s’élargir à des œuvres oubliées, qui sont très nombreuses, mais aussi à une certaine diversité (les femmes compositrices, les auteurs Noirs etc.), en un mot, une nécessaire ouverture à ces sortes de « musiques interdites ».

En même temps, il ne faut pas hésiter à développer plus encore la diffusion du lyrique hors les murs, avec des opéras en réduction, des œuvres spécifiques pour jeune public, tout ce qui existe déjà, mais doit être élargi, si l’on ne veut pas mourir un jour prochain. Thiellay pense que, si ce volontarisme était à l’œuvre, « l’opéra (aurait) les moyens de redevenir au centre de la culture populaire ». Quoiqu’il en soit du vieillissement du public, l’opéra reste pour les collectivités locales un lieu central, non seulement symbolique, mais porteur d’emplois que l’auteur juge peut-être un peu trop protégés (ce qui lui aura valu quelques déboires dans sa carrière). Les villes  bénéficient également de ce que les économistes appellent les « externalités positives », notamment en matière commerciale et  touristique.

On notera, vers la fin de l’ouvrage, ce que l’auteur dit des jeunes chanteurs, qui sont, pour la plupart : « incroyablement préparés, formés, polyglottes, connectés, engagés, ouverts sur le monde et sur ses enjeux sociaux, environnementaux, politiques. Dans cette bataille pour que l’opéra existe encore dans quelques décennies, ils représentent un  atout majeur qui sera davantage renforcé avec plus d’ouverture et de diversité. »

Tout espoir n’est donc pas perdu, si tout un chacun –des directeurs des scènes lyriques aux musiciens des orchestres, en passant par les choristes et les machinistes - comprend bien que le fait de camper sur des rentes de situation revient aujourd’hui à précipiter la fin du spectacle.

Nombreux sont les ouvrages qui ont été consacrés à l’opéra, historiques ou amoureux ; celui-ci, s’il ne refuse pas ces deux registres, insiste sur des aspects économiques rarement traités dans un domaine qu’il convient sans doute de désacraliser si l’on entend aider à le sauver.

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