Musiques interdites. Un Mahler Titanesque

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Photo Luc Avrial, « Musiques interdites »

Quel orchestre, quel chef, quelle chanteuse ! Si nous avions une petite appréhension à voir se croiser la qualité reconnue de l’orchestre philharmonique de Marseille et l’œuvre de Gustav Mahler, elle fut très rapidement levée. Le festival « Musiques interdites » aura en effet permis une rencontre au sommet. Preuve est donc faite que cette formation sait tout faire avec brio, surtout si on lui offre la baguette d’un chef d’exception, Frédéric Chaslin en l’occurrence, ancien assistant de Barenboïm et de Boulez, mahlérien convaincu et même auteur d’un roman, On achève bien Mahler ( Fayard, 2018).

Le concert du samedi 15 octobre à l’Opéra nous proposait la première symphonie de celui dont la petite fille, Marina Mahler était dans la salle. Surnommé « Titan », ce premier essai de celui qui était déjà un immense chef d’orchestre,  a été esquissé en 1884, composé en 1888 et révisé en 1896. La symphonie aura retrouvé pour l’occasion son sous-titre original : « De la vie d’un esseulé ». Frédéric Chaslin a permis à l’orchestre de Marseille de donner la pleine mesure d’une musique jugée parfois maniaco-dépressive. Avec des pianissimi d’un douceur viennoise, des arrêts assurés au huitième de seconde, le détail de tous les pupitres audible en plein fortissimo, le public était aux anges et aux démons et l’a manifesté sans retenue. Mahler a réservé à tous les instruments des moments solistes au service  d’un projet musical collectif qui fit  sensation à la fin du XIXème siècle  à Budapest, puis à Vienne, et qui continue à fonctionner pour notre plus grand plaisir.

Cette première symphonie a été précédée samedi par les « Chants d’un compagnon errant » (Lieder eines fahrenden Gesellen) où Aude Extrèmo a confirmé la hauteur de son talent. L’artiste maîtrise deux registres, de contralto et de mezzo et dans les graves, elle incarne magnifiquement la joie et la douleur que cherche à évoquer Mahler. Le premier des chants : « Wenn mein Schatz Hochzeit macht » (Quand mon amour fête son anniversaire) est extrait du « Knaben Wunderhorn » (Le cor enchanté de l’enfant). Les trois autres textes sont de la plume de Mahler « Ging heute Morgen über Feld » (Allons ce matin par les champs), « Ich habe ein glühend Messer » (Je sens en moi un couteau embrasé), « Die zwei blaeun Augen von meinem Schatz » (Les deux yeux bleus de mon amour). Ce qu’ Aude Extrèmo en fait est sidérant d’incarnation. La traduction française (excellente initiative pédagogique) étaient récitée avec talent par Violetta Sanchez, bien qu’elle fût assez mal sonorisée. Les deux femmes étaient habillées en Wanderern (voyageurs errants).

Le fait que les nazis aient jadis considéré cette musique comme dégénérée (Entartete Musik) pour la simple raison que Mahler était d’origine juive, en même temps qu’il nous ramène à la pire des époques, nous permet a contrario d’apprécier sans entrave ce génie de l’inspiration et de l’orchestration que fut ce compositeur dont nous n’avons pas fini, avec ce festival « Musiques interdites » d’apprécier les œuvres interprétées en majesté.

Judith Magre

En attendant, dans le même cadre, nous retrouverons mardi 17 octobre à 21 heures, au théâtre Toursky de Marseille, 16 passage Léo Ferré, troisième arrondissement, une création théâtrale et musicale autour d’un Robert Desnos se sachant condamné et ses poèmes animaliers codés et Franz Kafka, auteur de Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, son dernier texte.  Le titre général de la soirée sera « Le bestiaire humain ». Judith Magre lira des textes, Julie Cherrier Hauffmann nous offrira sa voix de soprano et Thomas Morris son registre de ténor, sous la conduite du chef d'orchestre, Frédéric Chaslin. L’animation sera assurée par Olivier Thomas Venard, frère dominicain de son état, avec la projection de ses dessins animés.