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Dix questions à Alain Vidal-Naquet, Président de l’association Musiques interdites

16 Mars 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Interview

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D’où vous est venue cette idée d’organiser un festival de musiques interdites ?

« Interdites »  est un euphémisme utilisé pour ne pas rebuter le public. De fait, et historiquement, l’interdit portait sur des œuvres artistiques dites « dégénérées ». Entartete Kunst, selon la formule nazie, visant toute la culture ne répondant pas aux critères d’aryanité imposés par Hitler. Dans le domaine musical se trouvent visés les compositeurs d’origine Juive, bohémienne, ceux qui ont été ciblés comme communistes, homosexuels… et tous les interprètes d’obédience analogue.

 

Pourriez-vous nous définir en quelques mots cette notion qui semble concerner à la fois les musiques et les musiciens ?

Faire vivre ou revivre les œuvres bannies de 1933 à 1945 et derrière les œuvres, les compositeurs, est une démarche « naturelle », je veux dire sans parti pris idéologique, religieux… Je suis d’origine juive, sépharade par mon père, ashkénaze par ma mère, et, par bonheur nous avons pu tous trois échapper aux rafles. Mais ce  n’est pas cette origine, ni les souffrances endurées -relatives pour ce qui me concerne, de même que mes parents – qui justifient mon engagement. C’est d’abord la volonté de restaurer ce qui a été détruit ou occulté, puis celle de partager, d’ouvrir le regard (l’oreille), l’esprit… Cette volonté s’est accrue  dans les temps qui sont les nôtres, obnubilés par l’égocentrisme ou, a contrario, par le rejet de ce qui n’est pas « soi».

 

Vous êtes avocat. Ces œuvres sont-elles encore à défendre et, si oui, contre qui ?

Il se trouve que par un concours de circonstances curieux (pour ne pas chercher d’expression plus atypique), j’ai été amené à sympathiser avec un grand musicien, d’origine juive, allemand, né à Breslau, Jan Meyerowitz qui, s’étant réfugié à Marseille, avait été arrêté par la Milice Française et incarcéré au Camp des Milles en 1942. Echappé de ce camp grâce à celui qui deviendra mon beau-père, Maitre Pierre Guerre, avocat, j’ai fait sa connaissance en 1969, lors de mon mariage avec Christine Guerre. Il était venu de New-York, alors qu’il occupait des fonctions éminentes à la Julliard School. Avec le temps, l’amitié s’est établie, donnant lieu à mes déplacements dans le New-Jersey, où Jan et son épouse, Alsacienne, soprano d’Opéra, habitaient, des déplacements parallèles  de leur part à Marseille etc. Au décès de Jan j’ai reçu des partitions originales (manuscrites) dont un « Envoi » à mon beau-père intitulé « In Memoriam »… Ces données vous sont fournies pour expliquer certaines des raisons qui m’ont amené aux « Musiques Interdites »… puis à accepter d’assumer la présidence de ce Festival.

 

Accepteriez-vous de dire que votre action est à la fois à dimension historique, culturelle et politique ?

Le Festival a produit une œuvre de Jan Meyerowitz, « The Barrier », avec l’aide de l’Institut Français, des musiciens venus de Durban, en Afrique du Sud (autre histoire à vous conter dont ma rencontre avec Nelson Mandela).  The Barrier a été produite une seule fois (une première en France) dans la Cour de la Préfecture de Marseille, place Félix Barret. L’œuvre est un opéra antiraciste qui met en scène un « métisse » rejeté par les blancs parce qu’il est noir, et vice-versa par les noirs parce qu’il est blanc. Faute de moyens suffisants l’œuvre a été produite en « opéra-concert » avec de prodigieux chanteurs noirs venus d’Afrique du Sud avec l’orchestre dénommé «  The Zulu Classic Orchestra ». Je n’invente rien…

 

Vous en êtes à la XVIème  édition de ce festival. Comment l’affaire a-t-elle évolué au cours des années ?

Michel Pastore vous adressera sous forme condensée l’énoncé des productions successives au cours des ans… Depuis ma nomination le « spectre » de la programmation s’est « élargi » pour prendre en compte les musiques interdites par Staline, essentiellement contre Prokofiev, Chostakovitch, par les Turcs contre les Arméniens, les poètes interdits comme Baudelaire dont des poèmes extraits des Fleurs du Mal ont été mis en musique par Debussy, Déodat de Séverac, Charpentier, Vincent d’Indy… (Représentation donnée en Lettonie). Plus récemment encore (cette année) une représentation donnée à Saint-Louis du Sénégal avec un grand musicien Sénégalais jouant de la Lyre « kora »  dont vous avez pu apprécier la qualité à Marseille en décembre soit à l’Abbaye de Saint Victor, soit au Musée d’Histoire de Marseille.

 

Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui à Marseille un milieu socio-culturel pour soutenir de telles initiatives ?

Dés les premières années, le public a été très présent, soit à raison des œuvres produites, soit des interprètes, soit – et cela me parait déterminant – du sujet traité.
Cela explique aussi l’aide, par des subventions, des pouvoirs publics, modeste, il est vrai, mais nous permettant de réaliser une partie de nos objectifs. Il est vrai que les artistes sollicités ont toujours fait preuve d’une capacité  de s’adapter à nos moyens tant les objectifs poursuivis les motive…
Résurrection d’œuvres méconnues, résistances à l’oppression, réhabilitation de compositeurs, retours sur l’Histoire…

 

Si vous permettez que nous parlions de gros et petits sous, bénéficiez-vous de soutiens ? Avez-vous des formules d’abonnement etc. ?

Le Festival pour les Musiques Interdites bénéficie de soutiens financiers de la Région, de la Ville de Marseille, et de dons de ceux qui, quelle que soit l’importance de leurs moyens, partagent nos valeurs. L’argent est nécessaire, mais l’estime que nous manifeste, souvent de manière prosélyte des personnalités célèbres  - Madame Marina Mahler récemment,  des musiciens reconnus comme Frédéric Chaslin, voire des inconnus, participe au rayonnement du Festival et nous encourage, nous permet de persévérer.

Comment s’organise votre programmation ? Est-elle le fait de votre association et/ou recevez-vous des propositions artistiques ?

La programmation est arrêtée essentiellement par Michel Pastore qui a su s’entourer d’artistes, d’interprètes partageant les mêmes objectifs. Pour ma part, j’ai toujours « pratiqué » la musique, le piano dès mes cinq ans. Bénéficiant des cours de Madeleine de Valmalette – j’étais toujours « derrière » Claude Kahn, ce qui m’a dissuadé d’entreprendre une carrière de musicien -  le chant choral a capella  à l’Ecole de Provence – Les Petits Chanteurs de Provence sous la direction du R.P Bernard Geoffroy, ce qui m’a fait découvrir une partie du monde en chantant entre 14 ans et 32 ans (Buenos-Aires, New-York, Montréal, Edimbourg festival, Oslo, Copenhague, Stockholm, Cologne, Constance, Munich, Athènes,  indépendamment des productions en France ). Au fond j’ai une carrière ratée  d’interprète !

 

Considérez-vous comme suffisamment relayé par les moyens d’information et les réseaux dits sociaux ?

Nous ne sommes jamais suffisamment relayés par les réseaux sociaux, pour répondre à votre interrogation… Peut-être est-ce de notre faute ?

 

Pourrions-nous avoir une petite idée de que vous nous réservez pour la prochaine saison ?

Il est encore trop tôt pour vous donner le détail des trois concerts prévus en Octobre. Mais je peux vous dire que Gustav Mahler sera à l’honneur.

 

 

 

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