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lyrica-massilia

Dix questions à Mohamed El Mejlissi, Chanteur lyrique marseillais

1 Mars 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Interview

 

Photo @ Diane Amelin

 

Vous avez commencé votre carrière artistique, à Marseille, par le théâtre. Cela vous sert-il pout l’art lyrique ?

Effectivement, mon premier contact avec l’art s’est fait par la pratique du théâtre. Après mes trois années au conservatoire de Marseille en Art Dramatique, mes professeurs m’ont vivement conseillé de continuer le chant. A l’époque, je chantais en ténor ou contre-ténor. On ne cesse de vanter les mérites de la pratique théâtrale pour s’améliorer à l’oral, mais en réalité, cette discipline permet surtout de réaliser que nous avons un corps. L’une des premières choses que l’on nous dit, c’est de prendre conscience de ses mains et d’apprendre à les laisser pendre, tout en étant à l’aise. Il me semble que l’art est partout : tout devient Art lorsque la maîtrise d’un ensemble de compétences techniques se met habilement au service d’un sens, idéologie, morale, valeur, etc. Ainsi, sans se confondre, les différentes disciplines artistiques ne peuvent qu’apprendre les unes des autres.

  

Que pensez-vous du milieu lyrique à Marseille ? Est-il suffisamment ouvert et diversifié ?

Mes choix de vie ne m’ont pas orienté vers le milieu lyrique à proprement parler. Ce qui est certain, c’est que lorsque je croise, au hasard des concerts, d’anciens élèves du conservatoire d’Aix-en-Provence, ils en arrivent tous à la même conclusion : c’est compliqué de trouver des concerts dans lesquels tourner. Mais en même temps, j’ai l’impression que les ‘’grandes gueules’’, sans gêne ni morale, se débrouillent mieux pour obtenir des contrats et une audience. Ce problème est général aux disciplines artistiques, il faut savoir se vendre pour trouver du travail. Les possibilités d’intégrer le milieu lyrique sont minces, comparées au théâtre où l’on peut varier les formes : lectures, spectacle sauvage ou éphémère, performance, théâtre pour les scolaires et jeune public, etc. Il est plus facile donc d’y mettre un pied, à condition de ne pas être trop regardant sur les rémunérations et d’aimer le bénévolat lorsque l’on fait du théâtre. Quelques élèves de lyrique connaissent un succès modeste, essentiellement des femmes.

 

Vous avez révélé à notre confrère Marsactu en 2016, qu’au conservatoire d’Aix en Provence, vous avez été victime de racisme. Comment peut-on se remettre d’un tel affront ?

Au bout de trois années au conservatoire d’Aix-en-Provence en chant lyrique, le directeur a décidé de faire le ménage. Ce n’était pas par racisme, en tout cas ce n’était pas un racisme de race. Le nouveau directeur avait la volonté de ‘’redorer de blason’’ et le prestige du conservatoire, ce qui a instauré un climat où tous ceux qui n’étaient pas brillants se sont vu contraints de quitter l’aventure. Donc, je pense qu’il serait plus précis de parler de reproduction sociale. De toute façon, la discipline se veut élitiste et une aisance financière ne peut qu’être un atout, presque indispensable à la réussite de ses études lyriques. Dans ces conditions, pour arriver à dépasser cet échec,  je dirais qu’il faut réussir à développer une aptitude à se construire et à vivre de manière satisfaisante, en dépit de circonstances traumatiques : développer sa résilience.

 

Votre voix est très large, à la fois barytonisante et ténorisante. Vos études ne vous ont-elles pas permis de  choisir ?

En effet, je n’ai pas une voix facile à dompter et j’ai donné du fil à retordre à mes professeurs de chant qui, parfois, s’arrachaient les cheveux. En réalité ma voix s’est réellement développée quelques années après que j’aie quitté le conservatoire où tout le monde s’accordait pour me mettre dans la case ténor, avec certes peu d’aigus, mais ténor quand même. Un jour, une dame peu conventionnelle pour le milieu lyrique et qui enseigne actuellement au conservatoire de Marseille, m’a fait remarquer que je n’étais peut-être pas ténor, mais plutôt baryton Martin (baryton avec des aigus). J’ai travaillé mes graves et j’ai gagné en technique, par la suite, j’ai aussi pu développer davantage d’aigus. Finalement, j’ai fait peu de progrès durant mon conservatoire de chant, car ce type de structure favorise un développement de la voix à sens unique et, parfois, il faut savoir faire l’inverse de ce que l’on souhaite faire, si l’on veut atteindre nos objectifs. Autre réalité plus matérielle, les meilleurs élèves prenaient tous des cours particuliers en dehors, parfois plusieurs fois par semaine.

 

Dans quel registre chantez-vous de préférence en concert ?

Il serait très prétentieux de ma part de prétendre maîtriser plusieurs registres vocaux. En effet, il m’est permit de jongler plus ou moins habillement avec la voix de baryton, de ténor, voire, de contre-ténor, la dernière étant l’une des plus plaisantes à utiliser, mais elle a ses limites : voix courte et peu sonore, registre limité. Malgré tout, les vibrations qui parcourent le corps lorsque je chante en contre-ténor laisse une sensation particulière, entre la détente et la plénitude (passagères). J’ai commencé mes études en tant que ténor, puis, j’ai été élève en tant que baryton ; la voix de contre-ténor était une période de transition, où je me cherchais. Bref, après des moments douloureux d’incertitude, je pense avoir retrouvé ma voix, celle là même que j’avais perdue en 2016, ce que l’article de Marsactu évoquait dans son titre. Cependant, les quelques appels pour des projets non rémunérés et les chorales recherchent essentiellement des ténors, ce qui fait que je n’ai pu exercer ma voix de baryton qu’à l’occasion de cours de chant particuliers. Donc, je chante actuellement comme ténor soit par habitude, soit par affinité. Cela n’enlève rien au fait que la voix se travaille quotidiennement et parfois, en dehors des moments d’exercice. Le chant nécessite un travail répété qui permet de prendre conscience de son état ; lorsque l’on se maîtrise, alors,  on devient un instrument.

 

Vous participez à un ensemble vocal certes amateur, mais de haute qualité, appelé Gyptis, cela vous satisfait-il, aussi bien pour le niveau que pour le répertoire ?

J’ai connu l’ensemble vocal Gyptis lorsque je l’ai intégré. Il y a quatre ou cinq ans, alors que j’étais surveillant dans un collège, un professeur de musique qui était déjà dans le chœur m’a interpellé : ‘’Dis, tu chantes tout le temps dans la cour et les couloirs, on cherche un ténor, ça te dirait pas ?’’. Je m’étais éloigné de la musique pour des raisons personnelles, j’ai donc sauté sur l’occasion de remettre le pied à l’étrier! Première surprise, notre chef de chœur demande à auditionner ceux qui veulent intégrer la chorale. C’est donc blessé dans mon égo que s’est faite ma première rencontre avec Bénédicte Pereira. Mais, professionnelle et bienveillante, elle m’a tout de suite mis à l’aise. La deuxième surprise a eu lieu lorsque j’ai rencontré les membres du chœur qui ont tout de suite cherché à m’intégrer. Au fil des répétitions, je découvre un ensemble vocal dont le quart des membres permet, à l’aide d’un investissement considérable et d’une générosité sans égale, de faire vivre le chœur Gyptis. Pour la partie musique, c’est Bénédicte qui prend le relais afin de porter, parfois à bout de bras, le chœur vers un niveau d’exigence élevé. Certains morceaux qu’elle choisit sont compliqués, et cela relève de la prouesse de faire sonner les quatre pupitres. Parfois c’est raté, parfois c’est magique. Je constate cependant qu’individuellement, nous sommes une bonne partie à avoir fait des progrès en chant. Cependant tout n’est pas rose et l’égoïsme de certains met à mal l’ambiance positive, mais le plaisir de chanter parmi des choristes, piliers de la fondation, qui sont attachants, et surtout, celui d’être dirigé, guidé par Bénédicte, tout cela fait que j’y suis encore.

 

A propos, que préférez-vous chanter, du baroque, du romantique, du contemporain, voire d’autres registres? Avez-vous des compositeurs fétiches ?

Je venais du théâtre, après avoir fait quelques années de danse et de cirque. Ma culture des grands classiques du lyrique n’est devenue ma priorité que tardivement. Grâce au chœur plutôt bien dirigé du conservatoire d’Aix-en-Provence, j’ai fait la découverte de compositeurs comme Gabriel Fauré ou Benjamin Britten que j’ai tout deux adorés. Pour l’instant, je me plais à dire qu’il y a des compositeurs qui ont su, à chaque époque, maîtriser le style qui la caractérise. J’ai cependant une préférence pour les airs baroques, surtout chez Purcell. Je n’en reste pas moins bon public et je suis assez ouvert aux musiques du monde, et avec l’expérience, je multiplie les coups de cœur et les déceptions. Mais tant que c’est chantable…

 

Quels sont vos projets en matière lyrique ou autre ?

Après une longue période d’hésitation, je me suis décidé à tenter le CAPES de musique pour enseigner en collège, une voie qui est une sorte de compromis fait de stabilité, de contrainte et de temps disponible pour la pratique du chant que je souhaite intensifier plus tard, afin de me préparer à des auditions. Sans prétendre faire carrière dans ce domaine, l’objectif serait de pouvoir ne vivre que du chant ou, en tout cas, en vivre essentiellement. Heureusement, j’ai la chance de vivre au côté d’une compagne qui me soutient et me permet de poursuivre mes passions. Elle est académique, contrairement à moi, elle m’équilibre.

 

Vous avez également une activité d’enseignant. A ce titre, vous nous avez confié lors d’une rencontre que vous aviez perdu tous vos élèves apprentis-chanteurs avec le Covid. Sur cet aspect, sortez-vous du tunnel ?

Avant la pandémie, j’ai commencé à donner plusieurs cours de chants particuliers, principalement pour de l’initiation, mais toujours avec un contrat à temps plein à côté. Avec la Covid, l’exercice d’une pratique artistique professionnelle ou amateur était impossible. Avec le Gyptis nous avons, dès que possible, organisé des répétitions et concerts mais l’activité globale était fortement ralentie. Mes élèves ont pratiquement tous arrêté de venir me voir. Actuellement, j’ai quelques élèves réguliers, les autres découvrant cette discipline avec moi. Je continuerai à donner des cours de chant, ne serait-ce que pour travailler différemment. En effet, les élèves que j’ai eus auparavant m’ont rarement sollicité pour du chant lyrique et les demandes ont été assez variées, allant de la technique de chant de variété à la technique de récitation coranique, en passant par un travail de rééducation pour les voix qui muent, suite à une volonté de changement. C’est surprenant, mais cela permet aussi de sortir de sa zone de confort et de remettre en question sa pratique. Ayant d’autres priorités, je privilégie la qualité des cours à la quantité, je ne pense pas être prêt à accepter n’importe qui pour subvenir à mes besoins.

 

Vous êtres intéressé par la sociologie. Celle de la musique vous concerne–t-elle particulièrement ?

Effectivement, j’ai découvert la sociologie il y a quelques années et depuis je ne lis plus que ça ! Je souhaite d’ailleurs, pour m’enrichir, obtenir un Master 2 en sociologie. Bien entendu, c’est au sens large que cette discipline m’intéresse. En réalité, je pense que cette science m’a immédiatement captivé, puisque qu’elle est à l’image de mon parcours : éclectique, tout en étant uniforme. Allez savoir pourquoi j’ai toujours voulu comprendre l’humain, et l’art peut finalement se résumer par : un moment qui réunit des humains qui ont travaillé et d’autres qui viennent observer le travail. Donc la sociologie de la musique sera une phase obligatoire pour élargir encore mes connaissances. Pour autant je ne souhaite pas me spécialiser. Je ne sais pas sous quelle forme mon projet d’enfance verra le jour, cependant je suis certain de vouloir enseigner, et ce depuis le plus jeune âge. Les maîtres japonais me fascinent et je rêve d’en devenir un. Pour l’instant, aucune structure pédagogique ne réussit à réunir les valeurs importantes qui me semblent indispensable à la transmission d’un savoir. Pour l’instant, je donne des cours de chant dans mon modeste et charmant salon, qui est en quelque sorte mon laboratoire.

 

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