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lyrica-massilia

Ernest Reyer, «  le Wagner de la Canebière »

9 Avril 2019 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot

Un  musicien marseillais commémoré, mais presque oublié : Ernest Reyer, «  le Wagner de la Canebière »

 

Jean-Pierre Bacot

 

 

 

 

De son vrai nom Louis Etienne Ernest Rey, Ernest Reyer naquit à Marseille en 1823 où son père tenait un office de notaire, et mourut en 1909 au Lavandou. Il ne suivit pas la carrière paternelle et commença très jeune des études musicales, même si il ne commença vraiment la composition que vers 1847 après avoir travaillé notamment en Algérie, prenant comme compositeur le nom d’Ernest Reyer[1].

En 1848, il vint à Paris et s’intégra rapidement au milieu artistique où il fréquenta  notamment Théophile Gautier et Gustave Flaubert, tout en reprenant des études musicales sous la houlette de sa tante, Louise Farrenc, en conservant des attaches avec le milieu populaire et bohème. Gautier disait de lui qu’il possédait « l'amour de son art poussé jusqu'à la passion et au fanatisme, un enthousiasme pour le beau que rien ne décourageait, et la résolution immuable de ne jamais faire de concession au mauvais goût du public ». 

Après l’écriture d’une ode symphonique avec chœurs, écrite en 1850, son premier opéra, en un acte, intitulé Maître Wolfram, fut joué à l’opéra comique en 1854, attirant l’attention d’Hector Berlioz. En 1858, Reyer composa Sakountala, un ballet, puis en 1861, un opéra comique en six tableaux, la Statue, d’après le conte des Mille et une nuits.

L’année suivante, 1862, peut être considérée comme celle de la consécration du compositeur alors âgé de 39 ans, et ce à un double titre. D’abord, ce fut celle de la composition de l’opéra en deux actes Erostrate, joué à Baden-Baden et ensuite de la réception par Reyer de la Légion d’honneur en France et de la médaille de l’aigle Rouge en Prusse. La Troisième République le soigna ensuite particulièrement sur cet aspect symbolique, puisqu’en 1888, il fut promu officier de la Légion d’honneur, puis commandeur en 1891 et enfin Grand Officier en 1899.

 

 

Rose Caron dans le rôle titre de Salammbô

 

Dans les temps qui suivirent, la réception de ses œuvres fut moins enthousiaste et Reyer cessa pratiquement de composer pendant vingt ans, au profit d’une activité d’écriture qui le mena jusqu’à intégrer l’Académie des Beaux arts en 1876. Il reprit le collier musical en 1884. Cela l’amena à composer son opéra le plus connu, Sigurd, œuvre en quatre actes et neuf tableaux sur laquelle il travaillait depuis douze ans. Bruxelles, Lyon, puis Paris accueillirent cet opéra crypto-wagnérien.

D’après l’Histoire du Grand Théâtre de Marseille 31 octobre 1787-13 novembre 1819, de Victor Combarnous publiée 1927 et reprise par Laffite Reprints de Marseille en 1980 (pp.190-191), l’oeuvre fut créée à Marseille le 28 mars 1889. Au fur et à mesure des onze représentations, le succès fut grandissant et, nous dit  l’auteur, se termina en apothéose. Elle fut redonné » à Marseille en 1924, lors des premières représentations marquant la reconstruction de l’opéra municipal après le grand incendie de 1919. La soprano Rose Caron, (1857-1930), rendue célèbre, notamment pour ses interprétations wagnériennes, future compagne de Clémenceau et Delcassé, fut l’une des pièces maîtresses du succès de cet opéra dans le rôle de Brunehilde. Ce fut encore le cas pour Salammbô, autre opéra réalisé d’après l’œuvre de Flaubert écrite trente ans plus tôt, créé celui-ci en 1892 à Bruxelles, Rouen, puis Paris, où Rose Caron assura le rôle titre.

Il fallut attendre 1940, puis octobre 2008, pour que l’on remonte cette œuvre réputée difficile à mettre en scène dans la ville natale de Reyer, une résurrection saluée par la critique, bien que la distribution et la mise en scène n’aient pas fait l’unanimité.

Dans un passage de son ouvrage comprenant quelques eaux fortes, extrait que l’on trouve en ligne sur http://www.musimem.com/reyer.htm, le critique Hugues Imbert qui était rédacteur en chef du Guide musical publia des pages intéressantes sur ce  compositeur. Après des Profils de musiciens en 1888, ces compliments proviennent de Nouveaux profils de musiciens 1842-1905, livre édité à Paris chez Fischbacher en 1892 et réédité en 2011. Imbert donne les détails suivants, relatifs aux déboires que Reyer eut parfois avec les directeurs de salles :

« De sa tour d’ivoire il a pu contempler les grotesques débitant des insanités sur son maître Berlioz et sur lui ; il a vu sans s’émouvoir, la haine de la gent lilliputienne  pour tout ce qui est grand et robuste. Il a eu la fierté de lui-même, la conscience de sa force, une profonde conviction dans l’Art, une admiration du Beau, rien n‘a pu le faire dévier de sa route. Le succès est venu (et encore dans une certaine mesure), sans qu’il ait fait une seule courbette et, en cela, il a bien suivi l’exemple de Berlioz. Quelle profonde ironie, soulignant une grande vérité, dans ces lignes écrites par l’auteur de Sigurd (…) le 5 mai 1878 à l’occasion de la reprise de la Statue à l’opéra comique :   La reprise de la Statue me vaudra la représentation de Sigurd à l’opéra dans vingt ans. J’en suis d’autant plus certain qu’à ce moment l’Opéra aura changé de maître et que moi, très probablement, je serai mort ».

 

« Heureusement que la production si pessimiste de Reyer ne sera pas réalisée - poursuit Imbert - Sigurd n’a pas attendu vingt ans, et l’auteur n’est pas mort, puisqu’il nous a donné Salammbô. Il est vrai que, pas plus que son maître Berlioz, Reyer n’a été gâté par le succès et il a dû fort souvent aller cueillir à l’étranger les lauriers que lui refusait son pays. Puis, voyez quelle mauvaise étoile ! Maître Wolfram, représenté le 20 mai 1854, disparut du répertoire, parce que l’auteur refusait, à juste titre, de consentir à la suppression des chœurs qui lui avait été demandée. Sakuntala, ballet en deux actes, monté sous la direction d’A (uguste) Royer à l’opéra (14 juillet 1858) n’eut que quelques représentations, parce que la principale interprète, Melle (Inès Maria) Ferraris, quitta Paris pour se rendre à Saint-Pétersbourg. Puis l’incendie des magasins de l’Opéra détruisit les décors. Erostrate,  joué avec succès à Bade (23 aout 1862) ne réussit pas à l’Opéra en 1871, par suite d’une cabale qui reprochait à Reyer d’avoir dédié son œuvre à la reine Augusta. Or cette dédicace date de 1862 et Reyer pouvait-il prévoir à cette époque les terribles événements de 1870 ? Le grand succès de Sigurd à la Monnaie de Bruxelles finit par lui ouvrir les portes de L’Opéra, mais la direction croit devoir servir, à petites doses, cette œuvre forte à ses abonnés. »

 

 

 

 

 

 

Autre référence qui nous renseigne sur un passé qui s’éloigne,  Jean Contrucci et Roger Duchêne, dans leur Marseille publié chez Fayard en 1998 (p. 495) précisent :  « Il est vrai que les oreilles marseillaises sont familiarisées avec les éclats et sonorités « germaniques », - si éloignées de la légéreté méditerranéenne telle que l’a illustrée Bizet- par un autre enfant du pays, celui que l’on surnomma « le Wagner de la Canebière », Ernest Rey dit Reyer, compositeur autodidacte dont l’inspiration et la technique charmèrent le redoutable Berlioz. Après la création  en 1889, à l’opéra municipal de son chef d’œuvre Sigurd, il fut longtemps de tradition d’ouvrir la saison de l’opéra à Marseille  par une représentation de cet ouvrage, lui aussi fortement inspiré par la saga des Nibelungen ».

Décédé en janvier 1909 au Lavandou où il passait ses hivers, vivant l’été dans Le Doubs, Ernst Reyer fut enterré dans sa ville natale, au Cimetière Saint Pierre de Marseille. Une petite place porte son nom près de l’Opéra, ainsi qu’une rue à Paris  une à Alger et une avenue, ainsi qu’un boulevard dans le neuvième arrondissement de Marseille. Quant à sa statue, due à l’artiste Paul Gondart, elle fut installée près de l’Opéra de Marseille en 1934, transférée deux années plus tard sur la colline Puget, et se trouve désormais dans le parc Longchamp où elle semble avoir été légèrement détériorée. Un foyer de l’opéra qui peut recevoir quelque 200 personnes porte également son nom. La pérennité du souvenir de ce compositeur est donc largement assurée. Il n’en va malheureusement pas de même pour son œuvre.

 

En effet, de ses opéras, il n’existe pas à notre connaissance d’enregistrements intégraux disponibles. On trouve en disque ou sur la toile des enregistrements mémorables d’extraits de Sigurd par Georges Thill ou Germaine Lubin auxquels se sont aussi attaqués en concert des artistes contemporains comme Robert Alagna.  Celui-ci, commentant ses enregistrements  en juillet 2018 au moment de la sortie d’un disque comprenant plusieurs extraits d’opéras apprécie d’avoir interprété un air célèbre : www.forumopera.com/actu/roberto-alagna-commente-ses-propres-enregistrements

« J’ai adoré cet air. C’est curieux, on vient de me proposer le rôle. Je ne suis pas libre. Dommage…Il n’est pas évident de trouver de la place dans mon emploi du temps. Je me souviens toujours de ces images de Luccioni déjà un peu âgé chantant « Esprits gardiens de ces lieux » à la télévision. Il m’avait bouleversé, c’était juste un petit extrait. Je l’ai ensuite recherché interprété par d’autres chanteurs. Dans cet album –Ma vie est un opéra –, tous les airs entrent en résonnance avec mon expérience personnelle. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de mettre Sigurd au programme ».

 

Nous n’avons déniché que la trace d’un vinyle dont il semble exister plusieurs versions qui comporte des extraits significatifs de Sigurd où, sous la baguette de Jésus Etcheverry (orchestre non identifié), on retrouve les voix de Gustave Botiaux (ténor), Lyne Cumia (soprano) et René Bianco (baryton), Jacqueline Silvy (soprano) et Félix Giband (Baryton). Dans « les Carnets sur sol », David Le Marec notait le 9 novembre 2005 http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2005/11/09/90-le-sigurd-de-reyer-1884, qu’il existe une intégrale et détaille ainsi, précisant que l’enregistrement n’a jamais été réédité :

« Manifestement, pas de coupures. Dirigée par Manuel Rosenthal, sur le très français orchestre de la RTF (cordes rêches, cuivres éclatants voire stridents), elle bénéficie d'une distribution de grand luxe qui rend la consultation du livret parfaitement superflue, luxe rare : Andrea Guiot, Andrée Esposito, Denise Scharley, Guy Chauvet, René Massard, Jules Bastin, Ernest Blanc, Nicola Christou.

Des représentations parfaitement intégrales ont été données à Montpellier en 1993, mais aucun enregistrement commercial n'a été réalisé. Quelques captations radio circulent, avec : Valérie Millot, Michèle Lagrange, Hélène Jossoud, Chris Merritt, Monte Pederson, Alain Vernhes, Marcel Vanaud et Wojtek Smilek. Des pirates de salle ont été réalisés en 1995, où Luca Lombardo remplaçait Chris Merrit, où Alain Vernhes remplaçait Monte Pederson et se voyait remplacé en Hagen par René Franc. Avec Baldo Podic (1995) au lieu de Günter Neuhold (1993). Evidemment, la version de 1995 est tout aussi clandestine qu'introuvable, puisque non diffusée à la radio. 

La version de 1993, en revanche, bénéficie d'une profondeur orchestrale, d'une urgence dramatique, et d'une chair vocale encore plus exceptionnelle chez ses protagonistes – Sigurd excepté. Le drame prend mieux que dans la sécheresse du studio de 1973. Si vous avez enregistré cela dans vos vertes années, n'hésitez pas à y jeter un coup d'oreille, ne serait-ce que pour la Brunehilde stupéfiante de poésie de Valérie Millot et d'autant plus qu'Andrea Guiot commence à être fatiguée chez Rosenthal. Les scènes d'ensemble sont également bien plus réussies chez Neuhold, malgré le très haut niveau de l'intégrale Rosenthal. »

On constate donc que, cette rarissime exception près, nul ne prend le risque de s’attaquer au deux œuvres que nous avons citées, sans parler de ce qui précéda dans les créations de ce marseillais statufié, mais délaissé. A quand une nouvelle production de Sigurd à l’opéra de Marseille. La question est posée...

 

 

 

 

[1] Signalons le  seul  ouvrage consacré à  notre connaissance à ce compositeur. Il est dû au regretté André Segond, Ernest Reyer, paru en 2008 aux éditions Autre temps.

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