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lyrica-massilia

Roméo n’en peut plus. Une interview de Jean Christophe Born

2 Janvier 2021 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot et Jean-Marie Cabot

 

Il ne nous parait pas inutile de revenir sur cette injustice que nous avons subie, de voir les salles de spectacle être obligées de fermer, alors même qu’elles avaient mis en place un protocole sanitaire contraignant. D’autant, comme on a pu le constater dans les grandes surfaces ou les transports en commun, que ces règles n’y étaient pas le moins du monde respectées et les consommateurs agglutinés à en fabriquer des clusters en série…

Pour autant, nous n’avons pas remarqué hormis le 15 décembre, dans les diverses manifestations de rue, à Marseille ou ailleurs, les travailleurs de la culture se joindre à celles et ceux qui ne demandaient qu’à les soutenir. Il sera temps, plus tard de tenter d’analyser cet abattement qui contraste avec ce que l’on connut jadis et naguère, avec des artistes se retrouvant en tête des mouvements sociaux et culturels.

Nous avons rencontré un artiste lyrique, ténor de son état, Jean–Christophe Born que sa juste colère a poussé à devenir, avec quelques complices, chanteur de rue, ce qui a contribué à réveiller quelques consciences assoupies et nous semble mériter d’être relayé.

Nous avons choisi de conserver le ton à la fois familier et efficace de notre interlocuteur, tout en souhaitant que l’on en revienne avec de tels chanteurs à une pratique disparue, la parodie d’airs célèbres avec des paroles référant à des situations contemporaines. Nous y réfléchirons.

 

 

 

On peut regretter de ne pas trop entendre dans les médias les travailleurs de la culture protester contre la situation qui leur est faite. Nous avons déjà parlé sur notre blog de cette étrange carence. Comment donc vous est venue cette idée de chanter depuis votre balcon ?

En urgence nous avons eu l'envie avec les Amis de Saint-Victor et sa présidente Claire Reggio, d'offrir aux marseillais un petit réconfort en cette période anxiogène et d’y organiser un concert dans l’Abbaye.  Le 5 Décembre nous avons contacté une magnifique soprano lyrique colorature et un organiste marseillais pour faire partie du projet. Tous étaient tellement heureux de refaire de la musique et surtout de retrouver le public….

 

crédit photo Serge Guikoume Instagram @cap.pro.photo

 

Nous avons lancé en urgence les communiqués de presse, les invitations et envoyé les documents à l'impression. Il fallait aller vite et le 10 Décembre, après l'allocution du premier ministre distribuer tracts (2500 exemplaires) et affiches (100) dans tout Marseille.

C'était une gageure à moins de dix jours. En général pour que l’information circule, il faut au moins un mois, à Marseille c'est toujours compliqué de toucher les bonnes cibles rapidement, surtout sans possibilité de tracter aux points stratégiques (opéra, théâtres, concerts).

Hélas ce ministre de la mort a préféré interdire la réouverture tant espérée des lieux de culture. Ce qui est d'une telle injustice lorsque l'on regarde de près les supermarchés, les centres commerciaux...  et les émissions TV avec du public non masqué. Bref il y a beaucoup trop d'incohérences et donc d’incompréhension.

Le monde s'est une nouvelle fois écroulé pour nous, artisans de la culture. Nous étions encore une fois condamnés à rester chez nous, inutiles et sans ressources ni visibilité. La date du 7 Janvier n'est qu'une mauvaise blague, et de toute façon, on ne va pas continuer à travailler pour rien. L'Etat invite à l'immobilisme. Je suis quelqu'un de ressources et ne pouvais me résoudre à simplement abandonner. Le concert de chants de Noel interdit dans l’Église alors que l'on peut y faire la messe... Mais on se fout de qui ?

J'ai du coup eu un flash et décidé de le faire coûte que coûte. Je suis allé sur la place de Saint Victor pour voir d'où je pourrais faire un concert, trouver un endroit qui ne soit pas sur la voie publique mais qui ait une visibilité maximale... Un balcon voilà ! Il y a une maison que j’adore sur cette place, elle date du XVIIIème siècle et possède un balcon avec balustrade. Encore plus étonnant, c’est dans cette maison qu’est né le célèbre chef d'orchestre et créateur de la easy music, Franck Pourcel. Un signe ! Très théâtralement, un soir la fenêtre était ouverte, Lucia prenait une photo de ciel magnifique se couchant sur le fort Saint Nicolas. Lucia c'est l'habitante de cet endroit, je me suis présenté et tel un Roméo je lui ai parlé de mon projet depuis la place vers le balcon.

Elle est italienne et a été immédiatement partante. Quelle chance ! Mon monde se reconstituait. En revanche, les artistes prévus ne se sentaient pas de chanter et jouer depuis un balcon... Ayant peur de la terrible amende de 135€, celle qui nous coûte notre liberté. Je ne leur en veux pas et je les comprends, mais mon combat était devenu plutôt un acte militant presque politique. J'ai appelé une amie que je sais très engagée pour la défense des droits des artistes et pour celle de la culture, la mezzo marseillaise Muriel Tomao et mon ami, le pianiste et organiste, Frederic Isoletta. Tous les deux ont été immédiatement partants et voilà comment le Dimanche 20 décembre, nous avons pu proposer Noel au balcon, une répétition de chants de Noël. Les concerts sont interdits, mais les répétitions permises, surtout fenêtre ouvertes... Jouons donc avec les mots. Nous avons suscité un grand intérêt de la part du public, et eu des articles de presse dans la Marseillaise, FR3 Paca et France Bleu. Hélas il a plu des cordes à 15H50....  Nous avons bravé les éléments et donné le concert contre vents et marées devant une trentaine de personnes déterminées elles aussi. Un moment d'histoire dans la carrière d'un artiste…

 

Dans un précédent entretien, au mois de juin, vous nous aviez déclaré," Il faut pouvoir faire entendre l'art lyrique en dehors de son écrin l’opéra, qui même s’il est remarquable, n'est plus au centre de la cité, ni assez vivant", pressentiez -vous à ce moment-là le risque qui pesait sur votre profession ?

Hélas les écarts se creusent encore plus... Entre ceux qui ont les moyens de faire des captations pros à plusieurs cameras et ceux qui ne les ont pas. Entre les artistes qui ont un agent, et qui peuvent passer les quelques auditions gardées secrètes et les autres. Les artistes que l'on voyait déjà beaucoup et ceux qui étaient en train d'émerger… Les productions subventionnées et le monde associatif laminé. Personnellement je suis très chanceux d'avoir fait tout ce que j'ai fait et vraiment je plains sincèrement les nouveaux arrivés dans la course aux engagements. 

En choisissant une vision certes pessimiste, on peut craindre que l'opéra soit fini, du moins comme on le connaît, et que le public ne revienne pas.  Une culture s'effondre et c'est un pan entier qui va partir avec les anciens. Les opérettes, avec leur public pas toujours très jeune, ont déjà oublié le direct. Après les attentats du Bataclan, il aura fallu deux ans pour que les choses reviennent à la normale, enfin presque. Là avec ce qui se passe et la peur qui est entrée dans le cerveaux des gens, on a perdu 80% du public mélomane.  Les spectateurs nous diront : "On reste à la maison on a tout ce qu'on veut sur la télé et c'est vraiment de qualité. On entend bien et on voit bien. Plus la peine de se déplacer, c’est trop risqué. Et puis à mon âge..." LOL, comme diraient les d'jeunes. C'est très grave ce qui va se passer les gens et les artistes ne le réalisent pas encore. La crise qui arrive va être énorme et toutes les mesures pour tenter de la réduire seront prises, permettant au passage de faire accepter toutes les réformes au nom de l'intérêt général (code du travail, subventions, culture…)

D'ailleurs pour revenir au flashmob, ce regroupement organisé d’urgence, quel mal avons-nous eu à rassembler des gens, des chanteurs et des professionnels... Boudiou comme on dit chez nous !

C'est incroyable mais très peu se sont bougés, même les instrumentistes classiques, qui sont pourtant très syndiqués. C'est hallucinant. Je n'ai pas compris. Nous avons réuni majoritairement des amateurs de chorales locales et avons eu un groupe de 50 personnes. Cela nous a sauvé la face, mais quelle déception ! C'est pour cela que lorsque tout sera écroulé, il ne faudra pas venir pleurer.

 

On sent un soutien un peu mou à votre cause de certaines directions d'opéras, peut-être parce qu'elles bénéficient de subventions d'Etat, quelle est votre analyse ?

Oui très mou, c'est la loi du chacun pour soi et fédérer dans le culturel sera très difficile. Le clivage entre structures subventionnées et petites associations n'a jamais été si fort.

 

Comment envisagez-vous le futur tout proche ?

En noir, mais je ne veux pas déprimer vos lecteurs alors je répondrai qu'il existe toujours la possibilité d'un avenir meilleur et que celui qu'on avait, n’était pas si mal finalement.

 

 

 

Conclusion :

 

Quoi que l’on pense des analyses développées par notre interlocuteur, elles ont le mérite de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière endormie et de réhabiliter une forme d’action non violente, telle que la pratique par exemple le groupe Extinction rebellion. Dans la situation qui est la nôtre, où dans un contexte sanitaire qu’il n’est pas question de nier une seconde, les arbitrages ont systématiquement été pris à l’avantage des puissances de l’argent, où l’on a eu le culot de considérer la culture, y compris culinaire, comme “non essentielle”, il nous semble exister une urgence. La fin de la crise et donc celle des arbitrages, n’est pas pour demain et il n’est pas de vaccin contre un néolibéralisme en voie de devenir un ordolibéralisme de la pensée de Walter Lippmann à celle de Carl Schmitt, pour celles et ceux que cela intéresse. Appelons, comme beaucoup le font, Antonio Gramsci à la rescousse, reprenons pied à pied une hégémonie culturelle, en attendant que soit monté un spectacle corrosif renvoyant les timides à leur honte inutile, car ils subiront tous le même sort s’ils ne se bougent pas.

 

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