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lyrica-massilia

Zauberflöte

10 Septembre 2019 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot

Zauberflöte

Retour du testament de Mozart

Jadis oublié à Marseille pendant trois quarts de siècle.

 

 

 

 

On pourrait disserter pendant des pages sur le symbolisme du livret de Schikaneder et surtout de la partition de Mozart, la flûte enchantée, traduction plus juste en français que ne l’est celle que les Anglais et les Italiens ont choisie : the magic flute et i flauto magico. Batterie ternaire dès le début, affirmant l’appartenance maçonnique du librettiste et du compositeur, chiffre cinq attribué au féminin et trois au masculin, symbolisme lunaire et solaire, transposition des mystères antiques en initiation moderne, etc. Nous nous limiterons ici à une question différente, celle du féminisme, bien qu’elle puisse rejoindre la première quant à l’appartenance des femmes à cette fraternité qui n’intervint que bien plus tard, nonobstant les loges dites d’adoption, existant à la fin XVIIIème siècle. Nous renverrons les personnes intéressées par cet aspect au classique de Jacques Chailley, La flûte enchantée, opéra maçonnique: Essai d'explication du livret et de la musique,  ouvrage paru chez Laffont, en 1968.

 

Par rapport aux autres œuvres lyriques de Mozart et à bien d’autres opéras, le principal personnage féminin, Pamina, n’est pas réduit à une beauté utilitaire et une performance vocale, bien que son air Ach ich fühl’s es ist verschwunden, soit fort délicat à interpréter. Elle est en effet tout au fil de l’œuvre, placée sur un quasi pied d’égalité avec Tamino, jusque dans les épreuves initiatiques finales ce qui, pour l’époque et même pour les œuvres des décennies romantiques qui suivirent, est assez rare. Certes, la Reine de la Nuit est campée en soprano colorature, avec l’un des airs les plus difficiles du répertoire (quatre contre-fa dans l’air dit de la vengeance die Hölle Rache), de manière quelque peu hystérique. Elle n’est pas pour autant réductible à l’incarnation d’un mal nocturne, pas davantage que la basse Zarastro ne se limite à incarner un souverain bien solaire.

 

A propos d’égalité hommes femmes, Victor Combarnous reproduit dans son Histoire du grand théâtre de Marseille (encart pp 52-53) un programme pour la saison 1827-28 où le prix de l’abonnement annuel est le suivant : « Hommes : 200 francs, Dames, 120 francs, Militaires et commis employés aux administrations : 150 francs ». Aujourd’hui, une réduction est parfois accordée à l’Opéra de Marseille aux plus de 65 ans, mais tous genres confondus.

 

L’un des intérêts de cette œuvre majeure est qu’elle peut plaire à des enfants comme à des intellectuels férus d’interprétation symbolique ou sociale. Adorno, Goethe, Hegel, Schopenhauer et bien d’autres se sont intéressés à cette Zauberflöte créée le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne en petit équipage, au FreihaustheaterTheater auf der Wieden. L’œuvre recueillit un franc succès qui ne se démentit pas dans l’espace germanophone. Elle était dirigée par Schikaneder lui-même, mais Mozart n’en profita pas beaucoup, puisqu’il mourut le 5 décembre.

 

La création parisienne intervint dès 1801, sous une forme que l’on n’imaginerait pas aujourd’hui, à savoir une transposition en langue française intitulée Les mystères d’Isis qui fut aussi jouée à Marseille en novembre 1809. Il fallut attendre 1829 pour que la version originale ait droit de cité à Paris, non pas à l’Opéra, mais au Théâtre-Italien (salle Favart). Révérence gardée envers l’opérette, Mozart était de fait renvoyé au rayon des utilités distractives. Cet opéra pastiche composé en 1801 par Ludwig Wenzel Lachnith sur un livret d’Etienne Morel de Chédeville, était truffé d’airs de Don Giovanni ou de la Clémence de Titus, ce qui scandalisa, entre autres, Hector Berlioz.

 

Ingmar Bergman ne fut pas davantage fidèle à Mozart dans son film Trollflöjtenn sorti en octobre 1975, qui participa cependant à la reconnaissance de cette œuvre par un public élargi, bien qu’elle fût chantée en suédois.  Elle est aujourd’hui visible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=l17SQeytHN8

 

C’est en réalité l’ensemble de scènes françaises qui se montrèrent rétives à la réception des ouvrages lyriques de Mozart. A l’opéra de Marseille le décalage fut proprement vertigineux. Certes la flûte enchantée fut donnée au Grand théâtre en septembre 1842, en langue originale, par une troupe allemande de passage à Marseille. Mais il fallut attendre avril 1881 pour qu’elle soit reprise, avec d’ailleurs un grand succès et pour huit représentations, puis en avril 1886, cette fois-ci avec un accueil très mitigé, pour trois représentations. Les amateurs durent patienter jusqu’en 1951 pour la réentendre, la même année que la création marseillaise de Cosi fan tutte.

 

Quant à Don Giovanni, la première représentation fut également donnée par la troupe allemande (en quelle langue ?) en 1842, puis l’opéra fut repris en avril 1867, en avril 1877 et en avril 1879. Le silence dura ensuite cette fois-ci 55 ans, puisqu’on ne retrouva ce chef d’oeuvre dont Wagner disait que c’était l’opéra des opéras et qui fut au début du XXème siècle dirigé par les plus grands chefs, qu’en février 1934, puis en mars 1949. Ensuite Don Juan sera à l'affiche deux saisons, en octobre-novembre 1961 et février-mars 1963, dans cette dernière production sous la houlette du directeur Louis Ducreux qui assura même la mise en scène.

 

Dans l’Histoire du Grand théâtre de Marseille de Victor Combarnous qui couvre la période 1787-1919, l’index des œuvres ne comporte, aussi incroyable que cela puisse paraître,  qu’une seule œuvre de Mozart, les Noces de Figaro, interprétée en français en 1821, reprise quarante années plus tard, en 1861. Dans un autre ouvrage, le Grand théâtre de Marseille, Victor Segond signale en 1881 « une véritable flute enchantée, qui fait aisément oublier, l’ancienne représentation donnée sous le titre les Mystères d’Isis.  1881, soit 90 ans après la création de l’œuvre. Autant dire que  Segond, aussi connu soit-il, ne fait pas autorité pour qui entend travailler sur l’histoire lyrique locale.

 

Dans un autre ouvrage, l’Opéra de Marseille, temple de l’art lyrique de 1924 à 1975, du même auteur, pas un seul opéra  du grand Wolfgang Amadeus n’est mentionné à Marseille pendant ce demi siècle.  Les représentations ci dessus précisées ne figurent pas non plus, alors qu’il couvre la période 1787-1919. Rappelons que les années 1919-1924 furent pratiquement blanches après l’incendie de l’opéra et les longues années de reconstruction

 

Mais revenons à nos moutons. Les sources méritent d’être recoupées, car certaines, les ouvrages de Segond en particulier ne sont pas toujours fiables, comme nous l’avons vu. Après avoir tenté de reconstituer la carrière marseillaise de la Flûte enchantée et de Don Giovanni, nous croyons en effet pouvoir dater la première marseillaise des Noces de Figaro en 1821, avec reprise en 1881, silence jusqu’à 1949, puis trente années avant octobre 1979. Pour Cosi fan tutte, ce serait 1958, avec silence jusqu’en janvier 1977. Nous ignorons  cependant si ces reprises, dont il n’y eut pas d’autre occurrence pour toutes ces oeuvres avant 1987, année du bicentenaire de l’opéra de Marseille, s’effectuèrent en langue originale, italienne ou allemande. Don Giovanni fut joué en Italien en 1989 et 1991. Mais qu’en fut-il pour les autres opéras?

 

En tout état de cause linguistique, comment expliquer ce désamour marseillais pour les chefs d’œuvre de Mozart ? La prégnance absolue du bel canto, le refus de la musique du XVIIIème siècle et a fortiori du répertoire baroque qui touche aussi les opéras de Haydn et, plus avant, de Monteverdi ? La question reste à l’étude. L’ostracisme porte également sur des compositeurs comme Hector Berlioz, bien que celui-ci ait dirigé un concert à Marseille en 1845 où il intégra certains extraits de ses oeuvres, mais symphoniques,  jouant cependant le chœur d’Euryanthe de Carl Maria von Weber. Berlioz s’est d’ailleurs inquiété à Marseille de la prééminence de l’opéra italien.

 

 

On ne peut qu’être éternellement reconnaissant à Gabriel Dussurgey et la mécène que fut la Comtesse Lili Pastré, d’avoir créée le festival d’art lyrique dans la Cour de l’Archevêché d’Aix en Provence avec, en langue originale : Cosi fan Tutte en 1948 et 1950, Don Giovanni en 1949, L’Enlèvement au sérail en 1951, Les Noces de Figaro en 1952,  la Flûte enchantée en 1958, Idoménée en 1963 et La Clémence de Titus en 1974. L’écrivaine Edmonde Charles-Roux associée à cette opération ne connaissait pas encore Gaston Defferre, lequel n’était pas encore Maire de Marseille et, en matière mozartienne, Marseille était en quelque sorte la banlieue d’Aix en Provence.

 

 

Du 24 septembre au 6 octobre, pour six représentations marseillaises de cette Zauberflöte, auf Deutsch gesungen, c’est l’excellent Lawrence Foster « le plus français des chefs d’orchestre américains », dit-on parfois, qui tiendra la baguette, avec une mise en scène de Numa Sadoul, très bon connaisseur de cette œuvre. Les décors seront signés Pascal Lecocq et les lumières Philippe Mombellet. Pamina sera Anne Catherine Gillet, Tamino Cyril Dubois, la Reine de la nuit Serenad Uyar, Zarastro Wenwei Zhang, Papageno Philippe Estephe, Papagena Caroline Meng, Monostatos Loïc Felix, les trois dames de la nuit Anaïs Constance, Majdouline Zerari et Lucie Roche, l’orateur Félix Caton, les prêtres et hommes armés Guilhem Worms et Christophe Berry. Aux chœurs de l’opéra de Marseille que l’on espère toujours aussi performants, s’adjoindra la maîtrise des Bouches du Rhône.

 

Il reste à espérer que la réalisation de cette coproduction de Zauberflöte avec l’opéra de Nice se montre à la hauteur de nos espérances et que la distribution vocale atteigne les sommets qualitatifs du récent Rigoletto et, juste avant, des Noces de Figaro, pour éteindre à jamais la malédiction qui a longtemps pesé à Marseille sur ce pauvre Wolfgang Amadeus. La triste parenthèse serait définitivement fermée si venait un jour l’annonce d’une programmation d’ Idoménée, l’Enlèvement au sérail et la Clémence de Titus.

 

 

 

 

 

 

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