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lyrica-massilia

La Compagnie Acontretemps, entre fantaisie et réalité

3 Avril 2024 , Rédigé par Kamille Thivolet Publié dans #Odéon

Allier tradition et modernité pour servir un but commun, c’est ce que dessine la Compagnie Acontretemps dans sa trajectoire artistique. Composée de danseurs aux formations classiques et contemporaines, ce collectif propose un répertoire éclectique, prônant la mixité de genres artistiques, mais aussi celle des publics, des représentations destinées à tous.

Deux ballets nous sont présentés, sur des musiques de Tchaïkovski à Mahler, des pièces dûment choisies, reflets de leur temps. 

Cependant, cette soirée ne s’adonne pas seulement à cette dualité ; une autre, plus profonde encore semble vouloir s’imposer, le cygne blanc face au cygne noir d’un certain compositeur...

D’un côté, porté par la première pièce, se place une légèreté presque abstraite, teintée d’humour et de fantaisie. L’Odéon accueille la première représentation de ce programme, où tout s’emmêle et se démêle : un pastiche de contes, s’appropriant nombre de figures connues, Cendrillon, le Petit Poucet, en passant par Barbe bleue et le Chat Botté… Univers décalé, les personnages semblent rejoindre la tradition de l’Opéra : très reconnaissables, ils possèdent chacun des traits significatifs, des émotions aux caractéristiques physiques, et jointes bien sûr à la danse, dans la gestuelle. Et c’est par ce procédé que la narration fonctionne, appuyée par les Casse-Noisette et Lac des Cygnes intemporelles de Tchaïkovski, sans oublier l’air célèbre de la Danse des heures de Ponchielli.

 

Conte en tout genres, Cie Acontretemps © Jean-Paul Cotte

Recherche intéressante et toujours pour servir cette narration, des effets de bruitage ont été ajoutés aux aspects sonores, à visée humoristique ravissant le jeune public. Cette pièce, revisitant les contes de notre enfance, touche, et nous apporte la légèreté dont nous auront besoin pour affronter la dure réalité de la création suivante.

Et de cette nouvelle pièce, naît une narration complexe, chargée d’un passé à la douleur indescriptible ; ici, la danse et la musique réussissent où les mots trébuchent. L’histoire de Yonah et Chaïm résulte d’une commande de la Fondation du Camp des Milles, et est créée pour la première fois dans le cadre de la semaine Nationale d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme.

 

Yonah et Chaïm, Héloise Jullien et Guillaume Revaud © Jean-Paul Cotte

Nous suivons le destin irrémédiablement tragique de deux jeunes mariés juifs, de leur bonheur naissant jusqu’à l’enfer des camps de concentration, brisant leur vie, celle de leur futur enfant, ainsi que leur amour. Fuyant la liberté et l’abstraction des contes, la narration est ici primordiale, et bercée par le folklore Yiddish des musiques Klezmer. La légèreté et le caractère virevoltant de cette musique magnifiant la danse sont aussitôt interrompus par un autre élément ; depuis le début de la représentation, un écran derrière les danseurs projetait des couleurs vives, et dans le cas de Yonah et Chaïm, la prépondérance d’un bleu profond, possible référence à la couleur du drapeau d’Israël. Seulement, lors de la déportation, l’écran change : un train, se rapprochant. Des visages marquants, et des murs de pierres. Loin de la beauté habituelle, celle-ci ne s’oppose plus à la laideur, et se place à ses côtés, la grâce des danseurs traduisant à merveille la douleur et le déchirement de cette période sombre.

  

Yonah et Chaïm, Cie Acontretemps © Jean-Paul Cotte

Une dernière idée, marquante, et qui fonctionne : les freilekh yiddish remplacé par le célèbre troisième mouvement de la symphonie n°1 de Mahler, surnommée Titan. Cette pièce est connue notamment pour sa mélodie se rapprochant de la chanson populaire allemande Bruder Martin, en français « Frère Jacques ». C’est dans ce paradoxe que ce situe toute la subtilité de Mahler : la douceur de la chanson est ici inquiétante et amenée par une marche funèbre lente, suivie à merveille par les danseurs. Un passage central presque parodique à l’accent bohémien, apparaît plus comme un lointain souvenirs plutôt qu’une réelle joie. Une marche éreintante, dont la fin apparait évidente, mais laissée subjective à l’auditeur. Un indice cependant, lors du salut des artistes, tous paraissent vêtus de blanc… des anges ?

Un défi réussi pour la chorégraphe Christine Colombani, pour cet hommage à travers la danse des victimes de la Shoah. Un grand bravo également aux danseurs pour leur performance parlante, et juste. Une seule dernière volonté : revoir ses ballets accompagnés d’un véritable orchestre.

 

 

 

 

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