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Brèves réflexions sur l’opérette

12 Mars 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot

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La prestation de France Musique au Conservatoire de Marseille au mois de novembre, dont nous avons parlé ici, nous a décidé à nous lancer dans quelques réflexions sur la nature et la place de l’opérette à Marseille, avec la conviction, qui s’est vérifiée, que la fameuse opérette marseillaise des années trente, passablement folklorisée, avait occulté ce qui s’était passé auparavant à Marseille dans de domaine musical réputé léger.

 

Notons  pour commencer qu’une Histoire de l’opérette est parue chez Fernand Nathan en 1981, écrite par Claude Dufresne et préfacée par Francis Lopez. L’ouvrage de Dufresne intègre la Comédie musicale, mais il souffre d’un parisiano-centrisme qui le conduit à ignorer l’aspect marseillais qu’il nous semble donc utile de réhabiliter, à la seule condition de la mettre en perspective historique et  musicale. Une autre histoire a été publiée par Benoît Duteurtre, producteur à France Musique en 1997 dont une nouvelle édition augmentée et très illustrée est sortie chez Fayard en 2009 : L’opérette en France,  qui souffre également d’un total parisianisme.

 

Venu du théâtre, le genre est apparu en 1847, nous dit Dufresne, avec Madame Mascarille d’Hervé (Louis-Auguste-Florimond Ronger, 1825-1892) un personnage qui fut également acteur, chanteur et directeur de troupe. On le considéra à son époque comme le principal rival de Jacques Offenbach.[1].  Quoi qu’il en soit de ces éditions, nous voudrions remercier pour leurs lumières et leurs documents nos amis Chantal Champet, animatrice du Comité du vieux Marseille, spécialisée dans le registre populaire et Jean-Marie Cabot, Co-animateur de ce blog.

 

 

 

Mam’zelle Nitouche, vaudeville-opérette en trois actes et quatre tableaux d’Hervé sur un livret d’Henri Meilhac et Albert Millaud, créé le 26 janvier 1883 à Paris, au Théâtre des Variétés

 

Loin de nous l’idée de résumer en quelques lignes l’histoire de cet univers musical et dramatique réputé léger. Nous voudrions simplement proposer quelques idées dont nous osons espérer quelles seront débattues sans agressivité.

 

Premier élément, le fait  que le sujet des opérettes soit, dans l’immense majorité des cas, moins culturel que ce qui caractérise le « Grand opéra ». Cette caractéristique est incontestable et de fait, l’opérette correspondrait au théâtre de boulevard dans l’univers dramatique, par rapport au théâtre classique ou contemporain. Les sujets d’opéra sont parfois empruntés à Shakespeare, Goethe ou Hugo, ceux de l’opérette...

 

Autre aspect, la présence de passages parlés, destinés à faciliter la  compréhension de l’histoire. Cet argument est tombé avec la technique permettant de projeter des sous-titres à l’opéra, y compris pour les œuvres chantées en français. Cette interruption du discours musical existe également dans ce que l’on appelle « l’opéra comique » et le moins que l’on puisse dire est que cela pèse lourdement sur l’audition du Fidelio de Beethoven du Freischütz de Weber ou du Beatrice et Bénédicte  de Berlioz ou de la Flute enchantée de Mozart qui, pour ce qui la concerne, ressortit au genre Singspiel. Nous avons toujours pensé que cela montrait une certaine difficulté de compositeurs pourtant  fort doués à soutenir un discours musical constant. Nous irons même jusqu’à avancer qu’un abus des récitatifs dans certains opéras nous semble parfois bien lourd.

 

Ajoutons que le langage musical de l’opérette relève d’une sorte de maintien d’une écriture musicale classique qui a marqué également nombre de compositeurs de musiques de film, certains constituant une transposition directe d’opérettes. Depuis la fin du XIXème siècle, qu’il s’agisse de musique classique française, allemande, italienne ou russe, le langage musical a évolué, prenant des libertés par rapport à la sacro-sainte tonalité, ce qui n’a pas manqué de désarçonner des auditrices et auditeurs qui avaient du mal à entendre Debussy, Ravel, Mahler ou Stravinsky, et, a fortiori, plus tard, Schönberg, Varèse ou Boulez, et ont été contents de retrouver un monde sonore connu.

 

Dernière idée, la plus délicate, celle des voix. Dans son histoire, l’opérette a intégré à ses distributions à la fois des chanteuses et chanteurs de variétés, parfois doté-e-s d’un bel organe et des voix lyriques pour lesquelles on n’avait pas les mêmes exigences que pour l’opéra, avec entre autres, cette expression quelque peu déqualifiante de « divette », venue de l’italien « divetta » pour parler d’une petite voix de soprano. Cela accrédite l’idée de l’existence de deux niveaux de qualité. Il est pourtant possible de faire chanter, par exemple, Vincent Scotto par de grandes voix. Certaines s’y sont essayé et si l’on ne tord pas trop le bâton en intégrant la chanson napolitaine comme étant peu ou prou un équivalent de l’opérette, de nombreux ponts existent entre elle et  l’opéra.

 

 

Opérette marseillaise en opérette à Marseille

 

 

Revenons pour finir sur le cas de l’opérette marseillaise apparue au début des années 1930 et dont l’histoire a été écrite par Georges Crescenzo : La véritable histoire de l'opérette marseillaise, chez Autres Temps, éditeur hélas disparu, collection  « Temps-mémoire »,  2005.  Il n’existe pas en revanche d’histoire de l’opérette à Marseille étudiant la période 1850-1930. Un regard rapide sur la liste des créations  locales à l’opéra de Marseille, nous permet de dire qu’à part deux Offenbach en 1858 et 1879, rien n’y fut programmé dans ce registre au grand théâtre.

 

Cette spécialité locale, comme la bouillabaisse ou l’aïoli, a complétement éclipsé ce qui a pu exister comme représentations  d’opérette au XIXème siècle et au début du XXème, ce que les producteurs de France Musique qui sont venus récemment célébrer l’opérette marseillaise ont oublié de rechercher. Fort heureusement, il existe des conservateurs, au bon sens du terme, qui peuvent nous renseigner. Il apparait  d’abord que  la première occurrence de cette expression serait apparue vers 1909.

 

Il exista pourtant une activité marseillaise dans d’autres salles aujourd’hui disparues.  La recherche des lieux et des programmes est très difficile. En effet,  les sources sont éparses. De plus, le style « opérette » a mis longtemps à se stabiliser. Il s’agissait en  fait de « revues », ce dont témoigne le document ci-dessous. Ces « revues marseillaises »  semblent avoir proposé dès 1830 des mélanges d’airs d’opéra ou populaire, du théâtre et autres arts du spectacle, avec un glissement vers le primat de l’opérette vers 1860. Il semble que cette opérette fut interdite en 1866. Le fond relevait d’une primauté du rire, voire de l’autodérision.

 

A partir de 1870 le style a sur place des spécialistes qui « montent » de temps en temps à Paris.

 

Document Chantal Champet

 

De cette représentation de revue marseillaise, donnée au Grand théâtre, l’actuel Opéra de Marseille, nulle trace dans les histoires de cette salle, ni dans les histoire de l’opérette. L’œuvre défie en outre les recherches sur la toile.  Quant aux œuvres présentées, comme «  ce cauchemar d’un droguiste », nous serions très heureux qu’un de nos lecteurs ou lectrices nous le documente.

 

 

 

 

Document Chantal Champet

 

Quelques coupures de presse, comme celle que nous reproduisons ci dessus nous prouvent qu’il existait des salles  spécialisées.

 

Que conclure de ces brèves réflexions ? Que le populaire est souvent oublié par les historiens. Ce phénomène est courant, sensible en d’autres registres, comme celui de la littérature. Mais à Marseille, le phénomène aura été plus complexe, puisque l’irruption, puis la célébration de l’ «opérette marseillaise » aura rejeté aux oubliettes toute une activité qui, certes, ne marquait ni  de spécificité, ni d’infériorité locales.  Cela aura de plus marqué le fait qu’une spécificité locale ne pouvait être maintenue que si elle était folklorisée. Fort heureusement, l’hopital de la Timone n’a pas besoin du professeur Raoult pour prétendre à l’excellence, pas davantage que l’opéra de Marseille.

 

 [1] Signalons également, parmi de nombreux ouvrages, celui de Louis Oster et Jean Vermeil, le Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette et de la comédie musicale, Fayard, 2008.

 

 

 

 

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