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Barbe Bleue, le Mister de Marseille

5 Janvier 2020 , Rédigé par Jean-Marie Cabot

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Tous les enfants connaissent l’histoire terrifiante de Barbe Bleue, tous les grands ne connaissent pas ce qu’Offenbach et ses acolytes Meilhac et Halévy, en ont fait…

Vendredi, à Marseille, nous en avons eu une merveilleuse interprétation, le Barbe Bleue de Perrault revisité, celui d’Offenbach réarrangé et le public n’a pas été déçu. La salle est pleine, les strapontins sont occupés, les rumeurs bruissent du triomphe des trois premières représentations…

Nader Abassi, le sémillant chef d’orchestre égyptien arrive, aérien, il attaque le prélude, les notes virevoltent pendant que sur l’immense rideau de scène, la rubrique faits divers d’un journal s’affiche en transparence… le ton est donné, c’est qu’on ne fait pas disparaître autant d’épouses sans attirer les revues de potins policiers…

Le rideau s’ouvre, le décor est planté, la vie à la campagne, bucolique, est marquée par des paysans qui ne sentent pas tous très bon le foin. Pas un détail ne manque, le travail de Chantal Thomas pour les décors est minutieux et remarquable, tout comme les costumes de Laurent Pelly et Jean-Jacques Delmotte, les bottes des figurants sont crottées à souhait… La mise en scène de Laurent Pelly est brillante, précise et souligne à merveille les ambivalences et contrastes des situations. Popolani (Guillaume Andrieux) alchimiste, éminence grise de Barbe Bleue (Florian Laconi) recherche la prochaine épouse de son maître qu’il désignera par tirage au sort. C’est Boulotte la bien nommée (Héloïse Mas), paysanne callipyge à la poitrine si généreuse, qui gagnera… c’est un Rubens, s’exclamera son futur époux plusieurs fois en la contemplant de son regard lubrique, tellement le tableau lui semble reluisant…

Le deuxième acte nous transporte dans les fastes de la cour du Roi Bobèche (Antoine Normand), les courtisans rampent face au premier d’entre eux, le Comte Oscar campé par Francis Dudziak, plus vrai que nature. Le Roi ne supporte pas que l’on croise son épouse, Oscar doit donc éliminer celui qui a osé, le courtisan intrépide, qui sera le cinquième… Puis son épouse, jouée par Cécile Galois annonce à Bobèche que leur fille, la Princesse Hermia (Jennifer Courcier) ne souhaite pas épouser celui qu’on lui destine, mais plutôt celui qu’elle aime, un berger. Patatras… heureusement, le promis et le paysan ne font qu’un… mais tout serait si simple…  Barbe Bleue à son tour souhaite épouser Hermia, son alchimiste dans son athanor souterrain concocte alors le poison destiné à éliminer Boulotte, qui s’en va rejoindre dans les tiroirs mortuaires, les cinq précédentes épouses…

Le compte est bon, cinq épouses, cinq courtisans, Barbe Bleue, Boulotte, le Prince Saphir et la Princesse Hermia. Tout ce joli monde, dans un troisième acte truculent et ébouriffant, après maints retournements de situation parce qu’il faut bien ressusciter les morts, va se retrouver et former des couples… la scène termine par des noces générales parce que, chantent-ils, c’est original et c’est moral

Héloïse Mas (Boulotte) à la transformation physique redoutable, est une paysanne ingénue, qui court après les garçons comme on court après les trains, sans savoir lequel on va attraper… elle est parfaite dans son rôle, traversant les moments champêtres ou plus sombres avec l’ironie et l’insolence que sa voix de mezzo, puissante et grave lui permet. Elle éclaire la représentation de sa présence scénique monumentale, quelle prestation !

Florian Laconi campe un Barbe Bleue impressionnant. Son personnage au physique de Landru moderne, tout de noir vêtu, barbe et cheveux très courts sur les côtés, boucle d’oreille, ses mimiques très étudiées, ses haussements d’épaules très « sarkozyens », sa gestuelle, son sens de l’humour décalé sont mis au service d’une voix puissante, chaleureuse et profonde, à la diction très précise.

Jennifer Courcier campe la toute mignonne et gracieuse Princesse Hermia. Son visage à l’expression juvénile attendrissante, est mis au service d’une voix de soprano légère et délicate. Son prétendant, le Prince Saphir, est interprété par Jérémy Duffau. Il a la mèche de cheveux rebelle du jeune amoureux et en joue habilement. Il est un ténor souriant, à la voix agréable et séduisante. Popolani, dont Guillaume Andrieux habite superbement le personnage, est un alchimiste au regard lubrique et exorbité, à la fine moustache d’exécuteur des basses œuvres, aussi graves que son chant. Francis Dudziak, le baryton nordiste (Comte Oscar), fait preuve tout le long d’un talent inimitable de comédien, Cécile Galois (Reine Clémentine) est toujours magique, on regrette de ne pas l’entendre plus… quant au Roi Bobèche (Antoine Normand), s’il manque de puissance vocale, il compense par un jeu subtil soulignant la faconde malicieuse du personnage…

On ne peut pas passer sous silence le travail impeccable du chœur de l’opéra de Marseille, préparé par Emmanuel Trenque. Rigoureux et précis, il fait preuve d’un enthousiasme généreux, accompagné à merveille par l’orchestre dont on ne dira jamais assez la maîtrise de la partition. Nader Abassi, un habitué, l’a conduit à merveille avec la bienveillance et les sourires qui illuminaient son visage. Visiblement, comme nous, il était heureux d’être là… parce que l’Opéra de Marseille, dans la lignée des œuvres qu’il a proposées cette année, nous a présenté non seulement une œuvre rare mais, surtout, une interprétation de très haute volée.

 

 

*hipster changé en mister, référence plus explicite au roman d'Emile Zola, même si elle correspond moins au personnage (NDA)

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