Roland Pöntinen. Dans les cimes et en profondeur

Concert après concerts, la Société Marseillaise  des Amis  de Chopin s’installe au sommet de la scène musicale de la cité phocéenne. Agnès Viottolo et Yann Barbizet ont encore frappé un grand coup ce jeudi 5 juin, dans la salle Musicatreize de la rue Grignan. L’immense pianiste et néanmoins compositeur suédois d’origine finlandaise,  Roland Pöntinen, a soulevé l’enthousiasme dans un programme varié.

Après un extrait des célèbres « Barricades mystérieuses » (les baricades misterieuses, 1717) de François Couperin (« la Favorite ») et la transcription du choral de Bach presque contemporain : « Alle Menschen müssen sterben ». 1714 Pöntinen a enchainé avec la sonate n° 26 Lebewohl (les adieux) de Beethoven. Les amateurs de ces sonates, et ils sont nombreux, ont en tête des versions de référence, mais le génie de ce pianiste est de faire tout oublier au profit d’une entrée en majesté dans un univers musical.

La célèbre et magistrale quatrième ballade de Chopin a fait ensuite l’objet d’un autre morceau de bravoure. Prima la musica, débarrassée des strates d’interprétations, partitions  respectueusement revisitées. Certes Pöntinen ne dédaigne pas le jazz, mais cette espèce de swing chopinien est du meilleur effet et fait ressortir  la quintessence des œuvres qu’il habite.

En deuxième partie, le virtuose s’est attaqué à un Rachmaninoff dont on se plaint parfois du caractère confus de ses compositions. Mais la lecture analytique que Pöntinen en fait, économisant la pédale droite, donnant presque l’impression  de jouer du clavecin rend justice aux deux études-tableaux et aux deux préludes qu’il avait choisis.

Dernier univers convoqué, l’Espagne, avec Jerez d’Isaac Albéniz, extrait d’Iberia où l’on entendait la guitare et El Pelele (le pantin) d’Enrique Granados, très mélodique et très enlevé, pour terminer un tour d’Europe époustouflant.

En toute générosité, Pöntinen qui fut juré au premier concours international de piano Pierre Barbizet, nous a offert une valse de Chopin et un Ravel tout de délicatesse.

L’intérêt de la proposition musicale de la SMAC réside aussi dans la première partie des concerts, dans laquelle carte blanche est donnée à un ou une  jeune artiste. C’est la pianiste taiwanaise  Kuan-Chen Shen qui était invitée. Tout juste diplômée du CNSM de Paris, elle a commencé son concert par  l’andante spianato et Grande polonaise de Chopin, avant trois extraits des Humoresken de Jörg Wildmann (1973), compositeur, clarinettiste et chef d’orchestre.

La jeune pianiste au talent des plus prometteurs a ensuite décliné les 22 parties du Carnaval op. 9 de Robert Schumann, dont une pièce évoque Chopin et une autre Paganini. En rappel, nous avons pu entendre le deuxième mouvement de la sonatine de Ravel. Kuan-Chen Shen est à l’aise dans différents registres. Elle n’a que 24 ans, dont 20 de piano, et a déjà gagné plusieurs prix, nonobstant l’estime des gardiens du temple marseillais, grâce à cette occasion  de briller qui lui aura été offerte.

Il reste un concert à cette troisième saison de la SMAC, qui aura été exceptionnelle de qualité. Ce sera le 3 juillet à 20 h 30 avec la franco-albanaise Marie-Ange Nguci, autre membre du cercle  des élu-e-s, et le célèbre et vénérable quatuor tchèque Talich. Ils interpréteront le quatuor op. 18 n° 4 de Beethoven et les concerti pour piano n° 4 et 5 en version de chambre.

Les Amis de Chopin sont en train de rechercher  l’élargissement de leur soutien, dans un contexte de restriction de subventions publiques qui, quoi qu’il en soit, les ignorent étrangement. Mais l’excellence s’imposera, grâce à un public de fidèles et le maintien de la programmation en haute altitude.

https://www.helloasso.com/associations/societe-marseillaise-des-amis-de-chopin