Lucienne Renaudin Vary et Frédéric Isoletta à Sainte-Anne : l’éclectisme leur va si bien
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Nous sommes allés mercredi dans la jolie petite église de Sainte-Anne, pour un concert organisé par l’association Marseille Concerts. Le programme annonçait un duo trompette et orgue, et nous en étions d’autant plus curieux que nous y retrouvions le très apprécié et bien connu Frédéric Isoletta dont la maîtrise de l’orgue n’est plus à prouver. Mais, et qu’il nous pardonne, nous étions également impatients d’entendre celle dont on parle beaucoup : la jeune trompettiste Lucienne Renaudin Vary. A 26 ans, son palmarès impressionne autant que sa biographie musicale.
Il faut dire également que Philippe Gueit, organiste titulaire de l’église de Sainte-Anne, avait piqué notre curiosité dans son émission sur RCF intitulée Du bon usage de la trompette et de l’orgue. L’idée de ce duo, dans ce lieu, nous semblait d’autant plus prometteuse que l’ambitieux programme couvrait trois siècles de musique. D’une transcription de Bach d’après Marcello jusqu’à un Medley de musiques de films, les époques défilaient.
Les bancs de l’église étaient copieusement garnis, le concert commençait. C’est Lucienne Renaudin Vary qui présentait le premier morceau : un concerto en ré mineur pour hautbois d’Alessandro Marcello, transcrit par Bach et répertorié BWV 974. Elle semblait à la fois intimidée et malicieuse, plus du tout lorsqu’elle jouait, exploitant pleinement l’acoustique de l’église avec son instrument. Trompette et orgue dialoguaient jusqu’à ce sublime Adagio qui nous faisait frissonner, la trompette y apportant une tension lumineuse que l’orgue prolongeait par ses résonances profondes.
Venait ensuite le Praeludium de Nicolaus Bruhns, un très long morceau dont l’interprétation, tout en délicatesse de Frédéric Isoletta, exploitait la dimension poétique de l’œuvre. Il y déployait un sens aigu du phrasé, de la respiration et de la couleur. L’orgue emplissait ainsi toute la nef de ses subtiles vibrations. Magnifique.
D’Oskar Böhme ensuite, le Concerto pour trompette en fa mineur. Une œuvre de la période romantique, dont Lucienne Renaudin Vary s’empara pour déployer un jeu tout en couleurs, d’une prodigieuse dextérité, et en faire ressortir les reflets très modernes. Son sourire en disait long sur le plaisir qu’elle prenait, mais surtout, qu’elle communiquait.
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C’est à l’heure des Complies que Frédéric Isoletta interpréta l’un des morceaux de bravoure de la soirée : la Symphonie pour orgue n°5 de Charles-Marie Widor. Sa célèbre Toccata, véritable « tube » de l’instrument, donnait l’illusion d’un orchestre dissimulé dans les tuyaux. Les mains du musicien virevoltaient sur les claviers dans un rythme trépidant, laissant jaillir toutes les nuances et variations offertes par l’orgue. Une démonstration de virtuosité maîtrisée, sans jamais sacrifier la musicalité.
Le concert se poursuivait, et il était juste qu’un compositeur marseillais enrichisse ce très beau et dense programme. Henri Tomasi prolongeait ainsi l’émotion qui jalonnait la soirée, avec ses Variations grégoriennes sur un Salve Regina. Un autre morceau de bravoure, cette fois pour trompette, en constant dialogue avec l’atmosphère tissée par l’orgue. Lucienne Renaudin Vary s’en empara pour révéler l’extraordinaire profondeur de ce chant, empreint d’une modernité que la clarté de son jeu mettait en lumière.
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De Frédéric Mompou, compositeur espagnol et catalan, nous écoutions ensuite une transcription réalisée par la trompettiste d’un morceau pour voix et piano. Lucienne Renaudin Vary prit soin de ne pas écorcher son titre : Damunt de tu només les flors. Une œuvre intimiste, pleine d’une douce émotion, dans laquelle les deux instruments se répondirent avec une délicatesse rare, entre douceur et mélancolie.
Frédéric Isoletta faisait ensuite preuve de son redoutable éclectisme musical en nous proposant un medley de musiques de films d’Ennio Morricone. Parmi elles, et pour moi la plus belle : Il était une fois la Révolution. Il y avait aussi Il était une fois dans l’Ouest, Pour une poignée de dollars, et d’autres encore. Là aussi, c’était finement joué, avec toute la palette d’émotions que sait faire naître l’œuvre de l’immense compositeur italien. Frédéric Isoletta en révélait, avec une simplicité apparente, les lignes mélodiques et les textures harmoniques, donnant à l’orgue une voix presque cinématographique.
Enfin pour clore cette superbe soirée, c’est l’Ave Maria de Piazzolla que Lucienne Renaudin Vary présentait ainsi, un grand sourire aux lèvres « Ce morceau pour vous dire bonne nuit ». La trompettiste ne s’est jamais cachée de sa passion pour le compositeur argentin qu’elle remercia ici en donnant à sa trompette des accents somptueux de clarté et de tendresse.
Le public était comblé, applaudissait chaleureusement. Beaucoup se levaient pour rendre un vibrant hommage aux deux musiciens pendant qu’ils disparaissaient en coulisses. Leur retour fut rapide, et Frédéric Isoletta, fidèle à son humour malicieux, annonçait qu’en bis ils joueraient une pièce… qu’ils n’avaient pas répétée et qu’il appartiendrait à chacun d’en deviner le titre.
Bien entendu, j’ai séché. Après m’être renseigné auprès de l’organiste, il s’agissait de Yo soy Maria de Piazzolla. Sublime.
Il y avait dans cette soirée un programme dense, plein de reliefs. L’essentiel tenait dans l’élan musical, dans cette capacité propre aux musiciens de talent à faire oublier les ajustements de dernière minute, et surtout à restituer une émotion : l’essence même de ces grands moments.