Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lyrica-massilia

Rusalka Mais comment s’y prendre, quand on est dans l’eau ?

18 Février 2025 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Opéra de Marseille

 

Ahoy ! Commençons par l’essentiel, la musique. Ce Rusalka d’Anton Dvořák est un pur chef d’œuvre lyrique et on ne remerciera jamais assez Maurice Xiberras de l’avoir à nouveau programmé à Marseille, en attendant un succès garanti pour d’autres opéras que l’on espère voir montés prochainement, du même compositeur et/ou de Bedrich Smetana, et pas seulement la Fiancée vendue, aussi géniale que soit cette oeuvre.

Cette production de Rusalka a déjà été présentée à Bordeaux, Nice et Avignon. Avec les trois représentations marseillaises, elle aura donc touché un large public. Rappelons que nous avons bénéficié à Marseille  en 1982 de la première exécution de l’œuvre. Preuve est faite au passage que les artistes lyriques d’aujourd’hui sont parfaitement capables de s’adapter à une langue peu pratiquée dans leur spécialité, comme ici le tchèque.

L’orchestre philharmonique de Marseille, dirigé par le maestro Lawrence Forster qui reprenait du service pour l’occasion, assisté par Federico Tibone, s’est, comme à l’habitude, fort bien tiré d’affaire dans cette partition riche et sans temps morts. Plusieurs musiciennes et musiciens nous avaient confié le plaisir qu’ils-elles ressentaient à jouer Dvořák. Les choeurs de Florian Mayet à qui l’on aura demandé un double effort linguistique et gymnastique pour certaines chanteuses, se sont montrés à la hauteur de l’enjeu. Les Marseillaises et Marseillais ont la chance de disposer à domicile d’une élite musicale adaptable à tous les répertoires. On ne le dira jamais assez. Foster a présenté à l’entracte en quelques mots le soutien des  artistes phocéens aux choristes de Toulon, dont nous avons suivi  les aventures.

La sopranissima roumaine Cristina Păsăroiu (prononcez : Peuseuroiou), dans le rôle titre, a été pour beaucoup une magnifique découverte, même si elle a déjà derrière elle une belle carrière internationale. Une voix magnifiquement timbrée, une puissance étonnante, des sons filés parfaits et un sens aigu de la dramaturgie, toutes ces qualités lui auront valu un véritable triomphe du public. La basse d’origine russe Mischa Schelomianski en Vodnik, l’esprit du lac, père de Rusalka, personnage naïf, mais pur, s’est lui aussi montré époustouflant, suscitant l’émotion et l’admiration vocale. 

Les autres rôles étaient fort bien tenus: la soprano Camille Schnoor (la princesse trompée), la mezzo Marion Lebègue (Jezibaba, la sorcière), Coline Dutilleul (le garçon de cuisine), sans oublier les trois nymphes, Mathilde Lemaire, Marie Kalinine et Hagar Sharvit, ni Philippe-Nicolas Martin (le garde forestier). Quant au ténor, Sébastien Guèze, dans le rôle du Prince (en tout état de cause vocale le dimanche 16 où nous l’avons entendu), il manquait parfois de précision et semblait souvent forcer sa voix dans un rôle certes difficile. Les magnifiques duos en ont souffert.

Pour ce qui est de la mise en scène, elle est intelligente, mais hélas redondante. Pieta ! comme le répètent souvent les personnages sous la plume du librettiste Jaroslav Kvapil.

Le parti pris de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeil de figurer l’eau dans tous ses contenants, lac, piscine, baignoire et aquarium se tient fort bien. Cela établit une distance de bon aloi avec le premier degré du conte de fées. Mais l’utilisation de la vidéo que nous avions appréciée dans d’autres productions lyriques marseillaises est hélas ici très souvent superfétatoire, quand elle n’est pas totalement gratuite, allant jusqu’à nous distraire à la fois de la partition et du tragique de la situation. Il s’agit d’une nymphe qui ne peut aimer un humain, par ailleurs volage, confinée qu’elle est par son statut de sirène, dans un élément liquide la fois protecteur et emprisonnant. Pour avoir le droit de voir son Prince, elle sera muette devant lui. La magie au service d’un drame mélancolique.

A la limite, le choix d’utiliser des nageuses conviendrait si, là aussi, la vidéo n’en faisait pas trop. Un seul exemple, parmi bien d’autres, de ce qui aurait mérité  d’être supprimé, les trois minutes  filmées en français sur le rôle de femmes-enfants de ces nageuses synchronisées. Sans ces lourdeurs, la mise en scène aurait bien mieux fonctionné. Les petits poissons nageant en fond de scène auraient suffi à évoquer la chanson de Gérard Bourgois et Jean-Marc Rivière immortalisée par Juliette Gréco en 1966 (Un petit poisson, un petit oiseau).

Rusalka, délicate variation sur l’impossibilité et la nécessité de l’amour, est une œuvre précieuse, remarquablement écrite pour l’orchestre et pour la voix,  dans une sorte de postromantisme. Elle figure désormais au répertoire des grandes maisons d’opéra et est considérée en Tchéquie comme un opéra national. Marseille est l’une de ces structures à rayonnement international et il en fallait peu pour que cette production fût à la hauteur des exigences requises par un public à la fois mélomane et curieux qui semble vouloir reprendre massivement le chemin de l’Opéra.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :