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lyrica-massilia

Dix questions à Gérard Pinelli Spécialiste d’Ernest Reyer

26 Février 2025 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Interview

 

Le mardi 18 février, à la 1983ème conférence du Comitdu Vieux Marseille, vous nous avez parlé d’Ernest Reyer. Comment vous est venu le goût pour ce compositeur?

 

Dès mon premier spectacle à l'Opéra de Marseille pour les Contes d'Hoffmann en novembre 1973, deux sujets de conversation animaient les entractes chez les seniors: la disparition des adaptations françaises des ouvrages du répertoire au profit des versions originales en langues étrangères - le surtitrage n'existait pas encore - et l'injustice faite à Ernest Reyer, dont le nom gravé dans le marbre du foyer de notre Opéra municipal, voyait ses ouvrages oubliés et notamment son fameux Sigurd, ouvrage inaugural du nouvel opéra en 1924 et de nombreuses saisons passées. Il fut représenté pour la dernière fois en 1963, Gustave Botiaux prêtant sa prestance et sa voix de ténor héroïque au rôle titre. Voulant en savoir plus, j'ai entrepris des recherches, lu les livres disponibles, assisté aux représentations de 1995. Mon goût pour le grand opéra français puise certainement sa source dans cette quête. Je demandais même aux chefs d’orchestre de donner l'ouverture de Sigurd en concert, après le bel enregistrement discographique de Manuel Rosenthal de 1973. Une spectatrice présente me galéja, prétendant que cette composition instrumentale n'existait pas... en fait elle ne risquait pas de l'avoir entendue, l'ouverture était coupée systématiquement depuis bien longtemps! On peut dire que l'idée a fait son chemin!

 

 

 

Nous allons bientôt pouvoir entendre Sigurd à l’Opéra de Marseille. Est-ce pour vous le chef d’œuvre de Reyer?

 

Certainement, et à double titre. Sigurd demeure l’œuvre la plus novatrice et la plus aboutie de Reyer. Elle mérite de figurer parmi les chef-d’œuvre du grand opéra français du XIXème siècle. Ouvrage puissant et d'une très grande noblesse, à la facture inventive, digne du disciple du grand Berlioz, il se présente comme une véritable épopée; un ouvrage sur mesure pour l'inauguration du Palais Garnier en 1875. Mais Sigurd se vit refuser son rendez-vous naturel avec l'histoire, la France sortant à peine de la guerre désastreuse et humiliante avec la Prusse. Tout sujet à connotation germanique se voyait exclu de la production lyrique, face à un public hostile à l'opéra allemand et relayant une haine tenace contre l'Allemagne.

 

Les autres opéras de Reyer sont-ils de même qualité?

 

Parmi les deux ouvrages passés à la postérité, Sigurd conserve sans conteste la première place. Salammbô, grand opéra très intéressant et représenté pour la dernière fois à Marseille à l'automne 2008, offrirait une partition un peu moins riche. Les autres ouvrages n'étant plus représentés ou enregistrés partiellement depuis longtemps, on ne peut se fier qu'aux critiques de la presse spécialisée et à l'expertise des musicologues.

 

Quel a été le rôle des librettistes, notamment Joseph Méry?

 

Reyer a travaillé avec les plus grands librettistes de son temps, Jules Barbier et Michel Carré pour La statue, Edouard Blau et Camille du Locle pour Sigurd, puis du Locle pour Salammbô, aidé par Théophile Gautier auteur du roman éponyme. Le binôme Blau du Locle a eu du mal a tenir les délais pour Sigurd, occasionnant des retards regrettables. Avec Méry, il s'agit essentiellement d'une coopération dans l'amitié sincère. Les deux hommes se connaissent bien, ce qui facilite la conception des livrets et accélère la production des ouvrages. Méry, librettiste avec du Locle du Don Carlos de Verdi dans sa version originale créée à l'Académie Impériale de Musique, est un homme de talent, un grand professionnel. Il coécrit tous les premiers livrets pour Reyer, jusqu’à à sa mort en 1866: Maître Wolfram, Erostrate, la Cantate pour la victoire de Napoléon III à Solférino. Une collaboration fructueuse et difficilement remplaçable.

 

Et ses autres œuvres, notamment symphoniques, que valent-elles à votre connaissance?

 

Elles demeurent peu connues et nous disposons de quelques enregistrements souvent incomplets. Ces œuvres restent marquées par l'orientalisme et s’inscrivent dans le grand courant romantique. A mon sens, Le Selam mériterait une résurrection. Loin d'une œuvre mineure, cette ode symphonique avec chœurs sur un poème de Théophile Gautier, s'inscrit dans la grande tradition des oratorios et préfigure peut-être le Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns.

 

On a dit jadis que Reyer était un petit Wagner français, voire un épigone de Berlioz. Où en est-on aujourd’hui?

 

A ma connaissance, les musicologues réfutent ces allégations du passé dont les sources proviennent souvent d'incompréhensions voire de calomnies liées au contexte politique, ou à la pure jalousie de leurs auteurs. La réalité semble bien établie aujourd'hui: Reyer, disciple de Berlioz, dispose bien de son style propre. Ami de Berlioz, il ne l'a jamais copié, épousant seulement cette inventivité et cette modernité caractéristiques de son modèle, mais dans sa propre esthétique. Il n'y a pas d'ex-nihilo en musique comme ailleurs et l'utilisation du leitmotiv ne fait pas un wagnérien. On a dénigré Reyer en l'accusant de Wagner du pauvre, face à son Sigurd Tétralogie du pauvre! Mais Reyer n'a pas pu copier Wagner, Sigurd ayant été écrit avant la création du Ring et il n'a jamais été un inconditionnel du grand réformateur, comme il le nommait. Reyer défendait objectivement les ouvrages de Wagner contre le mauvais goût et le parti pris d'un public assez sot pour faire échouer la création de Tannhaüser à Paris, à travers une cabale abjecte. Reyer se consacrait essentiellement à l'amour de la beauté et de la musique.

 

Comme Berlioz, Reyer a été également journaliste. Ses écrits, publiés en 1909 sont-ils accessibles?

 

Bien sûr. On trouve toujours en librairie, l'ouvrage de 1909, Quarante ans de musique et même Notes de musique, véritables invitations au voyage dans un siècle musical flamboyant.

 

Vous êtes un habitué de l’Opéra de Marseille depuis un demi-siècle. Comment l’avez-vous vu évoluer

 

J'ai été marqué par un grand homme de théâtre, Jacques Karpo. Esthète et grand connaisseur du répertoire, il nous a fait découvrir les Verdi de jeunesse et les Wagner comme personne, dans des mises en scène d'une beauté disparue depuis. Les directions suivantes ont pu sembler déconnectées du public et dépourvues d'un véritable homme de l'art à leur tête, jusqu'à l'arrivée de la gouvernance toujours en exercice. Des gens du métier, essentiellement d'anciens chanteurs lyriques, connaissant toutes les subtilités des partitions et les difficultés des ouvrages, tant sur le plan vocal que scénique, produisent des spectacles de qualité et conservent au répertoire français sa juste place. On a pu voir Les Huguenots, l'Africaine et bientôt Sigurd pour cette saison du centenaire. Face aux contraintes budgétaires actuelles, c'est plutôt bien réussi.

 

L’heure vous semble-telle enfin arrivée d’un retour en majesté au répertoire de l’Opéra français?

 

Après avoir assisté à un rééquilibrage en faveur du répertoire français, dû à l'engouement du public américain pour Massenet notamment depuis les années 1980, il semblerait que l'opéra français garde sa place au sein des programmations internationales. Les grands chanteurs soignent leur diction française et travaillent énormément leur style. Le Werther de Jonas Kaufmann à Paris en 2010 demeure un exemple de perfection pour un chanteur non francophone de surcroît. Après, nous évoluons dans un domaine mondialisé lui aussi, où l'opéra français tient sa place, mais ne peut prétendre à un nouvel âge d'or, même et y compris dans l'hexagone, faute de moyens et d'interprètes en nombre suffisant.

 

Vous avez également chanté comme baryton. Pouvez-vous nous préciser dans quel cadre?

 

J'ai effectué des études de chant lyrique pendant cinq ans auprès d'un professeur réputé pour sa maîtrise de la technique italienne. A 30 ans et sans objectif professionnel mais encouragé par mon entourage, j'ai pu me produire dans des concerts lyriques, des récitals et dans le rôle d'Ourrias de Mireille au sein de l'Académie Régionale de Chant Lyrique, à la Chapelle Royale de Saint Maximin. Mon répertoire se réfère à l'opéra français et italien du XIXème siècle et la mélodie. J'adore chanter les mélodies de Francesco Tosti.

 

 

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