Aux quatre vents d’Ouranos pour cinq souffles d’harmonie.
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C’était encore un samedi pluvieux. Au-dessus du Vieux-Port et du Fort Saint-Jean, le ciel étalait sa mélancolie, parsemée de quelques touches de gaieté au moment du crépuscule. Peut-être Ouranos, dieu du Ciel et du vent - ou plutôt des vents devrions-nous dire ici - présageait-il ainsi le concert auquel nous allions assister, donné par un quintette qui portait son nom. Un concert à l’image du ciel, profond, sombre, parfois lumineux, parfois joyeux, mais surtout d’une très grande beauté…
La salle du Palais du Pharo était comble. Comme le soulignait Olivier Bellamy lors de la présentation, des enfants étaient présents. La musique classique a bien besoin d’éveiller les plus jeunes pour ne pas sombrer dans l’oubli… Il soulignait également que nous allions écouter la fine fleur des quintettes à vent de la magnifique école française dans un programme audacieux. Après la pluie, viendra le beau temps…
L’ensemble Ouranos composé de Mathilde Calderini (flûte), Amaury Viduvier (clarinette), Philibert Perrine (hautbois), Rafael Angster (basson) et Nicolas Ramez (cor), se réunit depuis plus de dix ans pour explorer et interpréter divers répertoires avec une approche originale et moderne. Samedi soir nous avons été comblés… Mozart, Ravel, Piazzola et Chostakovitch figuraient au programme dans des arrangements et transcriptions résolument modernes. Et le public fut particulièrement gâté.
Dès les premières notes de l’ouverture de la Flûte enchantée, le ton était donné. Dans cet arrangement de Joachim Linkelmann, les instruments se partageaient les motifs de cette œuvre, considérée comme initiatique, imprégnée de l’engagement maçonnique de Mozart. L’interprétation gagnait alors en intensité dans une énergie impressionnante. Les musiciens par leur brio et leur virtuosité se démultipliaient pour faire oublier au public qu’ils n’étaient que cinq, tant l’écoute laissait présager un orchestre symphonique.
Chaque partie du concert était présentée par Rafael Angster, qui, avec humour, mais sans prétention, en décodait les subtilités. Armés ainsi du programme et de ses explications, nous étions parfaitement disposés à comprendre les arcanes des œuvres jouées. Merci à lui de nous en avoir fait profiter.
Venait ensuite de Ravel, le Tombeau de Couperin. Une œuvre écrite en hommage à ses camarades tombés pendant la Première Guerre Mondiale dont l’arrangement de Mason Jones n’a conservé que 4 des 6 mouvements originaux. Sous les doigts du quintette, les notes semblaient traverser la salle avec une évanescence troublante. Légères ou mélancoliques, elles donnaient à l’œuvre une sensibilité poignante, parfois baignées d’une gaieté fugace. La finesse de la partition se révélait dans l’harmonie du quintette, qui a su en transmettre son extrême délicatesse.
C’était ensuite à Astor Piazzola de poursuivre le programme. Du génial bandonéoniste argentin, on connaît bien ses pièces pour tango ou encore ses musiques de film, ses adaptations jazzy, un peu moins peut-être ses dialogues avec la musique classique. Élève de Nadia Boulanger - celle qu’on appelait Mademoiselle et qui forma tant de musiciens étrangers issus d’horizons divers (Michel Legrand, Quincy Jones, Egberto Gismonti…) - il trouva en elle, celle qui le convainquit d’être seulement lui-même… Dans un arrangement de Schaefer, le quintette Ouranos nous gratifia du Primavera Porteña, extraits des Cuatro Estaciones Porteñas, ce Printemps qui cherche à exprimer la vie des habitants de Buenos Aires. L’énergie et la vigueur de l’œuvre était parfaitement retranscrite, portée par l’expressivité de chaque musicien, conclue par un clin d’œil humoristique du basson. A travers cette pièce étourdissante, le quintette fit vibrer toute la passion propre à l'Argentine et, au-delà, de l'Amérique Latine.
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Un bref intermède vint alors, le temps aux musiciens de revenir avec des instruments différents, notamment une flûte piccolo et un cornet.
À leur retour, Rafael Angster nous expliqua la genèse de la pièce qui allait être, indiscutablement, le clou du spectacle : la transcription pour quintette à vent du Quatuor à cordes n°8 en ut mineur de Chostakovitch. L’arrangement est signé David Walter, immense hautboïste, qui a su retranscrire avec une sensibilité remarquable la densité et l’intensité de l’œuvre originelle, tout en relevant l’immense défi technique qu’un tel travail représentait.
Contraint d’adhérer au Parti communiste après des années de résistance, Chostakovitch compose ce quatuor en seulement trois jours, comme une confession intime et tourmentée. Il y glisse à de nombreuses reprises sa signature musicale : D (Ré) S (Mi bémol) C (Do) H (Si) en notation allemande, un cri d’identité dans un contexte oppressant.
L’ensemble Ouranos a admirablement su en restituer la beauté tragique, défiant l’impossible pour retranscrire la tension et la profondeur des cordes frottées. On voyait les visages des musiciens s’empourprer, la souffrance du souffle devenir musique et beauté, épousant toute la gravité de l’œuvre. Le public retenait le sien, suspendu à cette virtuosité, avant de laisser éclater un immense bravo, à la hauteur de la performance du quintette.
En bis, les musiciens nous offrirent de György Ligeti, un morceau un peu plus festif, la première Bagatelle, transcription d’une pièce pour piano. Étonnant moment intime puisqu’elle fut le premier travail d’Ouranos, conclue somme il se doit d’une note d’humour. Un souffle d’émotion parcourait le public, dans le ciel d’Ouranos, il y avait désormais cinq étoiles de plus…
Un grand merci à Marseille Concerts, d’avoir amené ce quintette exceptionnel parmi nous et de nous avoir ainsi permis d’écouter cette musique formidable.