Opéra Centenaire de la renaissance et triomphe de la troupe
Une semaine avant ce concert mémorable, il ne restait plus une place à vendre, au demeurant peu chères (entre 10 et 25 euros) sur les 1.800 que contient la salle ! Le plateau vocal convoqué pour l’un des concerts du centenaire de l’Orchestre philharmonique de Marseille aura séduit les mélomanes et/ou lyricomanes phocéens. Ils ne se seront pas déplacés pour rien, car cela fut un véritable triomphe. Certains chanteurs qui étaient distribués dans d’autres théâtres lyriques avaient fait le déplacement, ce qui explique qu’ils n’aient pu mettre en place des duos, trios ou quatuors, sauf le somptueux point d’orgue final.
Trois petits discours ont été prononcés en apéritif. Le directeur de l’Opéra, Maurice Xiberras, visiblement aux anges, le Maire de Marseille, Bruno Payan, rassurant sur le financement de cet établissement de prestige et s’adressant dans un italien parfait au nouveau chef Michele Spotti , pour le féliciter de maintenir au sommet cet orchestre, lequel maestro était aussi très ému. Les trois vedettes du maintien de l’étendard phocéen dans la tempête étant chaleureusement applaudies.
Puis est venue l’ouverture de la Forza del Destino, un Verdi que l’on n’a pas entendu à Marseille depuis 1998, avec laquelle l’orchestre débuta brillamment son centenaire, avant que les habitués de l’Opéra que sont Csilla Boross et Patrizia Ciofi (soprani), Karine Deshayes (mezzo), Enea Scala (ténor), Juan Jésus Rodríguez et Barrard (barytons), ainsi que Nicolas Courjal (basse) fassent un triomphe, sous la baguette de Michele Spotti, avec les chœurs dirigés par Florent Mayet.
On continua avec Verdi et c’est la soprano hongroise et polyglotte, entendue récemment à Marseille dans le rôle d’Abigaille du Nabucco, qui commença avec un air d’Aida, « Ritorna Vincitor », où elle montra ses talents de solide soprano lyrique. Enea Scala attaqua ensuite le « Quando le sera al placido » de Luisa Miller, avec la vaillance vocale et la prestance dramatique qu’on lui connait. Nous entendîmes pour continuer, face à un public dont l’enthousiasme montait de minute en minute, Patrizia Ciofi nous offrir le « Caro Nome » de Rigoletto, dans un registre de colorature où elle excelle. Karine Deshayes est venue à sa suite nous redonner sa version délicate du « Casta Diva » du Norma de Bellini, avant une performance du chœur, transcendé par l’événement dans « Vedi le fosche notturne spoglie », de Trovatore.
Lorsque le baryton Marc Barral arriva sur scène, nous avions le souvenir ébloui de son Sancho dans le récent Don Quichotte de Massenet et il nous gratifia d’une performance d’agilité vocale dans « A un dotto delle mia sorte » du Barbier de Séville de Rossini. Il fut suivi d’un autre baryton, verdien de haute école, aux aigus éclatants, Juan Jesús Rodriguez dans « Cortigiani vil razza dannata » de Rigoletto, après quoi la basse Nicolas Courjal fit entendre ses superbes graves dans l’ « A te l’estremo addio… il lacerato spirito » de Simon Boccanegra de Verdi.
Les choeurs piaffant d’impatience, on leur offrit le tube d’Aida « Gloria al Eggito e ad Iside », avec des trompettes placées dans les loges, des deux côtés, ce qui fut du meilleur effet.
L’orchestre reprit alors le témoin avec le prélude de l’acte I de Lohengrin, un premier petit moment wagnérien dans un océan d’italianité. Karine Deshayes revint juste après nous rappeler un autre excellent souvenir, celui de la Reine de Saba de Gounod « Plus grand dans son obscurité », un grand air pour mezzo. Elle laissa la place à Csilla Boross pour le « Pace, pace moi Dio » de La Forza del Destino, avant que Juan Jesús Rodriguez revienne faire éclater « Il balen del suo sorriso » de Trovatore. L’ambiance était encore montée d’un cran.
Dans une nouvelle parenthèse wagnérienne, Michele Ciotti fit sonner le prélude de l’acte III de Lohengrin et applaudir plusieurs pupitres. Cet orchestre qui nous donnera bientôt la Quatrième symphonie de Mahler et « Verklärte Nacht » de Schönberg au Pharo, le dimanche 6 décembre à 16 heures, sait tout jouer à la perfection.
Sons filés, aigus parfaits, émotion garantie, Patrizia Ciotti nous interpréta alors la longue plainte « E tardi ! Addio del passato » de la Traviata, ovationnée. Un beau contraste suivit, avec Nicolas Courjal qui sortit un fa dièse grave à faire trembler les murs dans « Dors, ô cité perverse » d’un Hérodiade de Massenet que nous aimerions bien voir programmer à Marseille un jour prochain. Le Chœur donna en suite un extrait célèbre du Faust de Gounod « Vin ou bière, bière ou vin, que mon verre soit plein ». Marc Barral revint nous interpréter « Riez, Riez, allez, riez du pauvre idéologue » qui nous rappela lui aussi de beaux souvenirs, avant que l’on passe au contre ut avec Enea Scala dans un air d’anthologie : « L’amour. Ah ! Lève-toi soleil », du Roméo et Juliette de Gounod, qui fit crouler la salle sous les vivats.
Véritable acmé de la soirée, l’ensemble des solistes entonnant le chœur de Guillaume Tell qui finit par un hymne à la liberté à tonalité spiritualiste, dont les dernières paroles sont : « À nos accents religieux, Liberté, redescends des cieux, Et que ton règne recommence! Liberté, redescends des cieux! ». Cela fonctionne comme une sorte de variante du « Va Pensiero » de Nabucco, évoqué dans les discours contres les vents mauvais.
Ce septuor final fut suivi d’un bon quart d’heure d’applaudissements. Musiciens, choristes, solistes et publics étaient rayonnants. Le fait d’avoir présenté plusieurs rappels de la saison passée aura contribué à un indéniable sentiment d’appartenance, avec des chanteurs qui nous rappelaient un passé lointain, les temps anciens où ils formaient des troupes. En tout état de cause, ce fut une belle fête de famille des supporters de l’OM (Opéra de Marseille).
Ce que nous avons pu voir et entendre ce 3 décembre en soirée relève d’une sorte de quintessence de ce que nous vivons au gré des saisons et vivrons encore, n’en doutons pas, dans une qualité que nous avons eue plus d’une fois le plaisir de souligner. Le travail d’exception mené par Lawrence Foster avec l’orchestre (le maestro, qui était dans la salle, fut ovationné comme il se devait pour l’immense travail accompli), est aujourd’hui poursuivi par Michele Spotti, comme celui d’Emmanuel Trenque repris par Florent Mayet pour le chœur. Quant aux distributions remarquables, à de très rares exceptions près, tout cela est rendu possible grâce au travail de Maurice Xiberras, le directeur. L’Opéra de Marseille tient son rang, malgré les tempêtes budgétaires, les fauteurs de dette publique et les bureaucrates mauvais coucheurs. La Forza del destino…
Notons pour conclure que ce concert mémorable a été capté par Radio Classique et sera donc radiodiffusé prochainement.