Les maîtres de Bayreuth Charlie Roquin
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Un très bon roman que cet ouvrage qui vient de paraître au Cherche-Midi, mais aussi une description au vitriol de la wagnerolatrie. L’auteur, Charlie Roquin a mené une enquête poussée sur l’univers de la Tétralogie, dont on suit dans le temple wagnérien de Bayreuth les mises en scène, les directions d’orchestre et les distributions vocales, à travers des personnages picaresques : un critique, Moshe Greibnisch, un proche parent insolent, Henry, dont la femme est surnommée la Grosse Dondon, la directrice du théâtre Petula Starck. On trouvera aussi un tenancier de taverne couleur locale, « aux lapins franconiens », nommé Schopenhauer, dont l’établissement sert chopes de bière, pieds de porc en sauce et choucroutes et où se déroulent les joutes oratoires que suit un public avide de sensations. L’histoire permet de mesurer au passage la versatilité du public, avec un exemple éclairant: la mise en scène de Chéreau, huée en 1976 et la même production ovationnée quatre années plus tard.
Comme il se doit, le roman est découpé en quatre parties, l’Or du Rhin (1869), la Walkyrie (1870), Siegfried (1876) et le Crépuscule des Dieux (1878).
Nonobstant trois opéras de jeunesse (Les Noces, 1832, Les Fées, 1833, inachevé, La défense d’aimer ou la novice de Palerme, 1834-37), le corpus wagnérien, établi par le dernier concile, commence avec Rienzi (1842), Tannhäuser (1845), Tristan en Isolde (1865) et les Maîtres chanteurs de Nuremberg (1878), œuvres dont il est parfois question dans le livre et dont l’ensemble forme une sorte de Bible.
Trois lectures au moins se croisent : l’appel à l’ésotérisme (au sens premier, recherche d’un sens caché dans le texte ou la musique), l’exégèse (le commentaire infini) et la critique, par laquelle passe le rapport à la tradition, avec l’avis des grands prêtres que sont les spécialistes de ces opéras. Siegfried peut faire office de Messie, mais il faudra attendre Parsifal (1882) pour tomber vraiment dans l’univers religieux, ce qui énervera profondément Nietzsche qui signa sa déception dans Contre Wagner, (1888).
Des wagnérolatres, il en existe de par le monde et même à Marseille, avec un cercle créé en 1986 qui semble organiser des conférences, mais pas de concerts, peut être des voyages au Saint des Saints, ce Festspielhaus installé sur la Coline Sacrée, ou se tiennent représentations et congrès, l’une des dix amicales existant en France, qui doit maudire les directions d’opéra de négliger leur Dieu. Rien à voir avec les très actifs Amis de Chopin.
Le romancier Charlie Roquin n’en est pas à son coup d’essai, mais son incursion dans l’univers wagnérien, auquel il fut initié par un professeur d’Allemand, est une incontestable réussite. L’arrière plan historique est souligné par petites touches, le passé nazi, l’antisémitisme de Wagner, mais aussi le souvenir de chanteurs mythiques dont les plus récents ont laissé une trace enregistrée, dont l’un des plus célèbres est sans doute le ténor danois Lauritz Melchior.
Sous couvert d’une érudition au demeurant impressionnante, l’écrivain procède à la satyre radicale d’un croyant contre son Eglise. Une seule critique, la dernière phrase, éculée : « c’est une autre histoire ». Mais il est patent que le plus difficile pour un romancier est de conclure son ouvrage.
Intéressante initiative en revanche que le glossaire final, permettant de se remémorer les personnages et objets du monde wagnérien (dont la fameuse épée Notung : détresse) cités tout au long du livre.