Sei Solo Bach, Voyage musical émouvant au temple Grignan
Et ça a commencé ainsi, en surprenant le public. Les chanteurs discrètement rendus au fond de la salle, entonnaient dans le dos du public un premier chant magnifique, un choral composé par Johan Riphagen (basse), à la manière de Bach. Une fois rendus sur scène, les chanteurs (Géraldine Jeannot, Maximin Marchand, François Isserel-Savary et Johan Riphagen) entonnaient Lobet den Hern alle Heiden (BWV 230), qui n'est pas le plus connu des motets de Bach. Dans le temple de la rue Grignan, haut lieu de la vie culturelle marseillaise, les quatre chanteurs faisaient dès lors preuve d’une belle harmonie pour mettre en avant la richesse musicale et spirituelle de cette œuvre. Les voix s'imbriquaient parfaitement dans de merveilleux enchaînements, soulignant la maîtrise de chacun dans l’exécution si difficile de l’œuvre. Les contrastes des registres de chaque voix et leurs nuances en exprimaient alors toute la beauté et l’énergie.
Sei Solo que l’on pourrait traduire par « six solos » mais aussi par « tu es seul », évoquant la solitude de l’instrumentiste face à l’œuvre, pouvait commencer. Les choristes rejoints par le violoniste Radboud Oomens ne faisaient plus qu’un, les voix et l’instrument se fondaient élégamment dans l’exploration émotionnelle de l’œuvre pour « révéler ce qui n’est pas écrit, entendre ce qui est caché1 ». Le violoniste enchaînait sans sourciller les différents mouvements de la sonate BWV 1005 pourtant réputée si difficile. L’archet révélait la technique sans faille de l’artiste, mais également sa sensibilité, son phrasé énergique exprimait tout la puissance émotionnelle de l’œuvre. Les chanteurs l’accompagnaient dans cette démonstration de beauté, chacun se faisant humble face à la difficulté. Pas de virtuosité ostentatoire pour exprimer toute la spiritualité et les sentiments que Bach, qui venait de perdre son épouse, souhaitait dépeindre. Le public restait subjugué devant le chef d’œuvre.
Un petit entracte de quelques minutes permettait à chacun de reprendre ses esprits. Les artistes revenaient alors sur scène interpréter un programme aussi riche et poignant, en commençant par des extraits de Jesu meine Freude (BWV 227) et du Magnificat (BWV 243). Comment ne pas tomber amoureux des richesses poétiques et de la musicalité de la langue allemande après avoir écouté ces deux motets ? Les quatre chanteurs affirmaient avec délicatesse et finesse, en se transformant parfois en trio, toute l’habileté du cantor de Leipzig à exprimer sa dévotion et sa profondeur spirituelle. Le violon s’intégrait aux choristes, agrémentant le chant de ses accents, les attitudes et expressions de tous ne laissaient aucun doute sur la puissance et la profondeur de leur travail. Le public était transporté par la beauté des notes, la béatitude le gagnait…
Vint alors ce que le public attendait certainement avec ferveur, la sublime Chaconne de la Partita en ré mineur BWV 1004. C’est de la structure de cette œuvre qu’Helga Thoene décrypta les sens que Bach y dissimula et dont l’étude permit à Johan Riphagen de peaufiner les arrangements pour les voix. « Personne ne maîtrise la mort, comment fais-je pour te rencontrer » annonçait le contre-ténor Maximin Marchand en préambule… Bach venant d’apprendre le décès de Maria, inhumée en son absence, apporta toute la déréliction de ses sentiments dans cette pièce aussi majestueuse que sublime. Radboud Oomens a su apporter par sa maîtrise technique et son interprétation, l’émotion, la solennité de la partition. Les voix, le violon exprimaient une émotion profonde, les aigus bien ciselés, les graves très suaves et leurs nuances délicates bouleversaient l’auditoire.
Bravo aux artistes, les chanteurs Géraldine Jeannot (soprano), Maximin Marchand (contre-ténor), François Isserel-Savary (Ténor) et Johan Riphagen, le violoniste Radboud Oomens de nous avoir transportés, avec autant de talent, dans ce lieu empreint de spiritualité, au travers une partie de l’œuvre sacrée de Bach. On regrettera que le public ne soit pas plus sensibilisé à la Musique baroque si belle et si émouvante, heureusement la présence de jeunes et leurs encouragements comme les paroles de Louise, doctorante à l’IRPHE : « “Magnifique, on aurait pu écouter ça des heures" nous laissaient augurer de beaux lendemains…
1 Programme du concert