Erich Wolfgang Korngold et Pavel Hass Musiciens géniaux et interdits
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Pour ce troisième concert du festival « Musiques interdites », au foyer Reyer de l’opéra, le dimanche 6 octobre, le directeur artistique, Michel Pastore avait choisi une belle brochette d’artistes de haut vol : le ténor Valentin Thill, les violonistes Dali Feng et Matthieu Latil, l’altiste Brice Duval, le violoncelliste Xavier Chatillon et le pianiste Vladik Polionov. Il avait également construit un programme en deux parties qui nous a proprement enthousiasmés.
Le concert a commencé par le quintette avec piano de Korngold (1897-1957) op. 15. Ce chef d’œuvre a été composé à Vienne en 1921, un an après son célèbre et unique opéra Die tote Stadt, que l’on espère voir enfin monté un jour à Marseille, même si elle présente de véritables défis aux chanteurs.
Le compositeur aura eu la chance de voir venir le vent mauvais et il se réfugia aux Etats-Unis en 1936, juste avant l’Anschluss après lequel les nazis invertirent et détruisirent sa maison viennoise. Il n’en repartit jamais, ce que les post-nazis autrichiens ne lui pardonnèrent pas.
Ce quintette témoigne d’une grande puissance et d’une écriture souvent virtuose et complexe. Au piano Vladik Polionov ajoute à son incontestable et reconnu talent, un soutien indéfectible au projet de musiques interdites qui consiste, rappelons-le, à honorer la mémoire de musiciens persécutés par les dictatures, en permettant notamment de retrouver des œuvres oubliées. Il a dirigé ce quintette du regard, tout en assurant vaillamment sa partie. Quant aux quatre autres musiciens, on peut leur rendre grâce de s’être attaqués à un tel monument qui a requis toute leur science musicale. Korngold a en effet écrit pour des instruments qui se parlent et maîtrise parfaitement une harmonie pas tout à fait classique, mais prenante.
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Autre œuvre proposée dans ce magnifique après midi, Fata Morgana ou le Mirage, sextette avec piano et voix de ténor (ou soprano) du tchèque Pavel Haas. Ce compositeur est né en 1899 et mort à Auschwitz en 1944, après plusieurs années passées à Theresienstadt, là où ont été déportés tant d’artistes. Rappelons que la fata morgana est un phénomène optique rare qui combine des « mirages » dus à une perturbation de rayons lumineux par un phénomène thermique. Ce quintette avec piano et ténor, op. 6 a été écrit en 1923, à Brno dans la Moravie tchécoslovaque, où vivaient environ 12.000 Juifs. L’ouvrage est inspiré de Rabindranath Tagore, auteur très à la mode chez les musiciens de cette époque, surtout pour ses poésies. L’Indien, prix Nobel de littérature en 1913, était toujours vivant. La partition de Pavel Haas est encore plus difficile à mettre en place que celle de Korngold et le jeune chef adjoint de l’orchestre, Federico Tibone, s’est mis à la tache. Le choix d’une version française pour la partie chantée aura été une réussite. Le ténor Valentin Thill lui a fait honneur. Doté d’une voix large et puissante, il a su faire passer une forte émotion. De plus, dans cette œuvre difficile aux accents parfois ravéliens, la voix est conçue comme l’un des six instruments, qui plus est dans une tessiture étendue.
On peut également espérer que l’opéra tragicomique de Haas Šarlatán (le Charlatan), Op. 14, écrit 1929 nous soit un jour présenté, Marseille, fût-ce en version de concert. Ce que nous avons entendu dimanche nous confirme dans le fait que des œuvres lyriques modernes qui ont échappé à la dictature sérielle méritent d’être sorties de l’oubli.
Une telle affiche, remarquable pour son programme, comme pour ses interprètes, mériterait une audience plus large. Ce sera espérons-le le cas dimanche 13 octobre à 16 heures, pour l’ultime concert du festival, au Palais des congrès du Parc Chanot.
Nous y entendrons les trois concertos pour la main gauche écrits pour Paul Wittgenstein, pianiste virtuose qui perdit le bras droit lors du premier conflit mondial. Ils ont été écrits par Sergei Prokofiev, Erich-Wolfgang Korngold et le compositeur ukrainien Sergei Bortkiewicz, cette dernière œuvre étant présentée en création mondiale.
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Vladik Polionov sera encore de la partie avec ses confrères Olivier Lechardeur et Nicolas Stavy. L’orchestre de l’opéra de Marseille sera placé sous la baguette de celui qui l‘a monté au plus haut niveau, Lawrence Foster.
Rappelons in fine que ce XIXème festival Musiques interdites inclut cette année une dimension supplémentaire avec l’exposition des œuvres de Philippe Adrien « les couronnements », dans la crypte de l’Abbaye Saint Victor. Elle est ouverte au public jusqu’au 14 octobre.