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lyrica-massilia

Dix questions à Charles Hommel Maître Luthier à Marseille

13 Septembre 2024 , Rédigé par Jean-Pierre Bacot Publié dans #Interview

 

Photo © Hommel

 

Vous avez été formé à Mirecourt, haut lieu de la lutherie, avec, bien sûr Crémone en Lombardie. Quelle a été votre formation ?

J’ai été en effet formé à Mirecourt dans les Vosges par René Morizot, l’un des deux derniers luthiers du quatuor à cordes de Mirecourt encore en activité à cette époque, après un premier contact dans un atelier de lutherie, lorsque j’ai acheté un nouveau violon avec ma professeure de violon à Bale en Suisse. Quelques années plus tard, avec l’aide de mes parents, j’ai pu faire un stage dans l’atelier de lutherie pendant mes vacances d’été, quand j’étais en première au lycée.

Cela m’a plu, mais j’ai passé mon bac par sécurité, et à partir de la rentrée suivante mon programme, c’était un apprentissage pendant trois ans de 1973 à 1976, à raison de 45 heures par semaine d’atelier environ.  A la fin de mon apprentissage, j’ai passé un CAP de luthier, qui consistait à fabriquer les principales parties d’un violon, sans les vernir, couronne d’éclisses, table, fond et sculpture de la volute en 40 heures. Les principes de cette formation, c’était de savoir travailler vite et bien, un travail parfait, exécuté entièrement à la main à la vitesse d’une machine…

En 1976, je suis allé travailler à Marseille pour me perfectionner chez avec un jeune luthier de 10 ans mon aîné, Philippe Bodart qui avait repris la maison Barbet- Granier –Claudot, le seul atelier de luthier spécialisé dans  les instruments du quatuor à cordes encore en activité dans la ville. Paul Lorange, l’autre luthier de Marseille, était décédé en 1970 sans successeur.

Philippe Bodart, fils de sculpteur, avait étudié la lutherie en Allemagne, à Mittenwald, à Mirecourt chez René Morizot, à Londres chez Charles Beare et à Paris chez Etienne Vatelot. Après deux ans chez Philippe Bodart à apprendre la restauration d’instruments anciens, les réparations d’archets, les montages et réglages de sonorité, les réparations de contrebasses, les raccords de vernis, j’ai eu la possibilité d’intégrer l’atelier prestigieux d’Etienne Vatelot à Paris.

Etienne Vatelot, tous ses contemporains se souviennent de l’ami de musiciens célèbres, comme le violoncelliste Rostropovitch, les violonistes Isaac Stern ou Yehudi Menuhin, sans oublier les français comme Maurice Gendron ou Stéphane Grapelli.

A l’atelier, nous étions quatre luthiers qui assistions Etienne Vatelot, une femme et trois hommes, l’ambiance était excellente, nous avions souvent entre les mains des instruments de rêve, des pièces uniques comme des Stradivarius, des Guarnérius ou des Amati, et la présence  de ce grand maître attentif à ce que nous faisions à l’établi, et qui nous rappelait constamment  l’exigence qu’il fallait avoir pour se rapprocher de la perfection, pour le travail  pour la sonorité, pour le bien-être du musicien, et donc pour la musique.

Etes-vous aussi musicien ?

J’ai commencé l’apprentissage du violon à 8 ans et demi, et j’ai étudié 11 ans au conservatoire de musique de Colmar, ma ville de naissance. J’ai participé à des ensembles d’amateurs et j’ai joué de la musique de chambre pendant un peu plus de vingt ans.

Pourriez-vous pour nous retracer l’histoire de votre atelier ?

L’atelier a été fondé au 14, rue Paradis en 1877, par deux luthiers Barbet et Granier qui travaillaient ensemble au 18, rue Paradis chez Daniel, qui fabriquait, vendait et réparait toutes sortes d’instruments, par suite de la vente du fond de commerce à un certain Guérin. Ils ont été associés jusqu’en 1910, Barbet s’est retiré pour des raisons d’âge et de santé, et Edmond Granier a continué avec ses deux fils. Ils ont engagé Pierre Claudot en 1928, jeune et talentueux luthier issu d’une longue lignée de luthiers de Mirecourt et ayant fait son apprentissage avec les meilleurs maîtres de Mirecourt, Camille Poirson, et Amédée Dieudonné. Un des fils Granier est décédé et le second a eu des problèmes de santé, une tuberculose qu’il a réussi à soigner. Mais Pierre Claudot qui avait tenu l’atelier tout seul lui a proposé de racheter l’atelier s’il lui faisait un crédit vendeur. Comme il était affaibli par sa maladie, il a accepté et Pierre Claudot est devenu propriétaire de l’atelier en 1937.

Les débuts du cinéma parlant, la crise économique des années 30, la diffusion de la musique à la radio avait diminué la pratique musicale, les orchestres de brasserie étaient supprimés, les musiciens proposaient souvent de revendre leurs instruments.

Pendant la guerre, étonnamment, l’activité a été plus soutenue, et un certain nombre de clients cherchaient des objets précieux, anciens, ou fait à la main pour placer leur argent quand ils avaient un doute sur la valeur de la monnaie. Fin des années 40 et au cours des années 50, Pierre Claudot a bien géré son affaire, même si les temps étaient très difficiles pour notre métier et pour la musique. A Mirecourt, les ateliers fermaient les uns après les autres. Il a fallu au début des années 60, l’arrivée d’André Malraux comme ministre de la Culture, et Marcel Landovski à la direction de la musique, pour relancer les orchestres et les conservatoires, ainsi que les maisons de jeunes et de la culture, pour relancer les activités musicales et démocratiser l’apprentissage de la musique.

La musique, son apprentissage et sa pratique reprenaient, mais les luthiers vieillissaient, et les jeunes n’avaient pas appris ce métier. Deux générations de luthiers n’avaient pas été formés ou ceux qui avaient commencé avaient changé de métier.

Pierre Claudot a pris sa retraite 67 ans et a trouvé un jeune luthier de 28 ans avec femme et enfant prêt à s’installer, envoyé par Etienne Vatelot pour reprendre son atelier. Il a cédé son atelier en faisant crédit à son acheteur, qui remboursait sa dette tous les mois comme il avait fait pour l’acheter à Granier.

Moi, Charles-Luc Hommel, je suis arrivé dans cet atelier en 1976, sortant d’apprentissage de l’atelier René Morizot à Mirecourt, que Philippe Bodart connaissait pour y avoir passé lui-même quelque temps. J’ai repris cet atelier en 1981. Il était toujours à l’adresse d’origine, au 14, rue Paradis, et j’ai eu l’opportunité de déménager en 2001 au premier étage du 27, rue Francis Davso, à un moment où mon fils Camille avait décidé d’apprendre ce métier. II faut noter que le luthier Paul Lorange et, avant lui, les frères Justin et Paul Diter avaient leur atelier en face à l’entresol du 22, rue Francis Davso. Cette adresse est proche de l’Opéra et pas loin du Conservatoire. Mon fils Camille m’accompagne depuis de nombreuses années et il a pris la direction de l’atelier en 2013.

Quelle est l’évolution de votre métier depuis que vous le pratiquez ?

Mon métier a évolué parce que le nombre de luthiers est devenu plus important, et que la culture du secret a disparu surtout depuis la fin du siècle dernier. De nombreux livres ont été écrits, les photos de violons anciens diffusées, et chaque luthier peut avoir accès à des connaissances qui sont mieux diffusées. Quand quelqu’un découvre quelque chose, il le diffuse lors de congrès, de séminaires ou d’ateliers partagés, car c’est un nouveau sujet passionnant à étudier.

Nous avons parlé lors de notre première rencontre du violon baryton. Est-ce une tocade de spécialiste où s’agit-il d’un projet artistique ?

La facture instrumentale a suivi des modes pour jouer et interpréter la musique à toutes les époques. Il y a de nombreuses tentatives qui ont été faites pour adapter les instruments au goût du jour ou pour en inventer de nouveaux, en espérant créer une nouvelle ambiance sonore. Des instruments tombés en désuétude ou dans l’oubli ont également été retrouvés, comme le violon baryton dont nous avons parlé, par mon regretté collègue de Marseille, André Sakellarides. Nous verrons dans les années à venir quel sera l’essor de cet instrument qui se situe entre l’alto et le violoncelle.

Travaillez-vous aussi sur d’autres raretés, comme le violoncelle picolo à cinq cordes ?

J’ai écouté Anner Bylsma violoncelliste hollandais lors d’un concert à la Société de Musique de chambre à Marseille, et j’ai eu l’occasion de le rencontrer à la fin du concert. Il m’avait montré le violoncelle picolo à cinq cordes qu’il utilisait. Il y a quelques années j’ai eu l’occasion lors d’un salon Musicora à Paris, de passer quelques heures avec Etienne Péclard qui jouait un violoncelle à cinq cordes construit par mon confrère Jean Seyral. Il m’expliquait avec passion la difficulté et l’intérêt de ce nouvel instrument, surtout pour jouer la sixième suite de Bach. Pour mon atelier et avec mon fils, pour développer et s’intéresser de près à des instruments comme le violon baryton ou le violoncelle Picolo, il faut être en face de musiciens qui nous encouragent et nous aident à développer cette recherche, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans cet atelier orienté d’abord par l’entretien, la réparation des instruments du patrimoine et par la création d’instruments neufs suivant les grands maîtres classiques italiens.

Vous avez une tendresse pour le violoniste marseillais que fut René-Charles Francescatti, dit Zino (1909-1991). Avez-vous d’autres admirations ?

J’ai beaucoup de tendresse et d’admiration pour le violoniste marseillais Zino Francescatti, que j’ai brièvement rencontré au début de mon installation à Marseille, il avait terminé sa carrière et passait sa retraite à la Ciotat. Il avait avec sa famille, ses élèves et ses amis, essayé de créer un concours pérenne de violon à Marseille, mais cela n’a pas été possible. Mais je suis toujours à l’écoute de ses enregistrements, des vidéos et des films qui existent, et régulièrement je compare ses interprétations avec ce qui existe et j’admire toujours la manière qu’il a de rendre sa musique vivante et inimitable, du soleil dans son violon. Tout Paganini ou la ronde des lutins de Bazzini paraissent si faciles…

J’ai eu l’occasion de côtoyer Jean Ter Merguerian lors de son retour à Marseille et jusqu’à la fin de sa vie. Il avait été l’assistant de David Oïstrakh à Moscou et avait reçu le grand Prix au concours Long Thibaud en 1961. J’ai réalisé l’enture du manche de son violon, changé la touche, et fait de nombreux réglages jusqu’à la fin de sa vie lorsqu’il se produisait à Marseille.

J’écoute son enregistrement de la Chaconne de Bach et quand je compare avec les versions d’autres violonistes de référence (dont Nathan Milstein), je regrette qu’il n’ait pas enregistré l’intégrale des suites et partita pour violon seul de Bach et tout le répertoire de violon. Nous en discutons avec ses anciens élèves du Conservatoire de Marseille.

Travaillez-vous également pour les « baroqueux » qui semblent reprendre de la force à Marseille ?

J’ai toujours suivi les musiciens qui jouent de la viole de gambe, et j’ai rendu il y a une trentaine d’année la viole de gambe ancienne de « Malahar à Bordeaux » jouable quand le département baroque s’est ouvert au Conservatoire d’Aix en Provence. Nous réparons et restaurons des instruments anciens, ou modernes, les montages baroques et les cordes en boyau nous sont familiers. Le département musique ancienne s’est ouvert récemment à Marseille, et nous sommes prêts à nous investir pour servir au mieux élèves et professeurs.

Quelle est la structure de votre clientèle : musiciens professionnels et amateurs, collectionneurs etc. ?

L’activité de notre atelier est généraliste, et nous répondons à la demande locale, locations d’instruments d’étude, violons, altos, violoncelles, contrebasses de petite taille pour les enfants qui débutent, ou pour les adultes, et locations événementielles, pour concerts ou enregistrements. Mon fils Camille fabrique des violons, altos et violoncelles de qualité professionnelle, il expose régulièrement ses instruments, en ce moment en Belgique pour le concours de la Reine Elisabeth. Pour ma part, j’ai fait une carrière orientée vers la réparation et la restauration d’instruments de notre patrimoine. Il y a beaucoup de satisfaction à faire sonner un instrument ancien qui avait été « délaissé », et quel soulagement pour un musicien de retrouver son instrument restauré, qui a retrouvé sa sonorité. Nous entretenons les archets, en changeant les crins et faisant les réparations nécessaires, et avons également cordes et accessoires nécessaires pour les musiciens. Nous proposons à la vente violons, altos, violoncelles, de l’instrument d’étude à l’instrument de concert ainsi que leurs archets. Notre clientèle est surtout constituée de musiciens amateurs et professionnels, et de rares collectionneurs.

Comme nous vous savons aussi mélomane, que pensez-vous de l’offre culturelle marseillaise ?

Mon ami Benoit Rolland qui est archetier à Boston aux Etats-Unis me dit qu’il y a 300 concerts de musique classique par an à Boston. Bien sûr, nous n’avons pas ici ce genre d’offre culturelle. Il n’y a pas non plus le même pourcentage de personnes ayant appris à jouer de la musique et à pratiquer leur instrument. 

Quand j’ai débuté mon installation à Marseille, avec Pierre Barbizet au Conservatoire et Marcel Paoli en temps qu’adjoint à la culture, j’imaginais que nous allions vivre un moment de développement généralisé de la pratique musicale dans des écoles de musique de quartier. Mais notre société a évolué d’une autre manière.

Pour ma part, je trouve que l’Opéra de Marseille a fait des progrès énormes, il a atteint un niveau de qualité qui comparable aux meilleurs. Je suis enchanté d’aller aux représentations de l’Opéra. Je vais également écouter des concerts, à Marseille, au festival de Pâques à Aix en Provence et dans les environs. Mais je suis aussi amateur de théâtre et d’autres spectacles.

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