Andrée Turcy au paradis des artistes marseillais…
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On sait Jean Christophe Born profondément attaché à la ville de Marseille,à son patrimoine, à ses chansons, à ses lumières qui inondent les hommes pour leur donner le caractère un peu exubérant qu’on leur connaît… le cabanon, l’anisette, la partie de boules, les chants qu’on entonne entre copains, et qui font partie de cet art de ville un peu suranné qu’il a su retranscrire avec bonheur dans ses spectacles.
En allant assister à sa toute nouvelle création, on pensait bien rencontrer cette Provence qu’il aime tant, on se doutait qu’il la suggérerait avec fidélité, délicatesse et amour, on pensait même s’imaginer au bord de l’eau boire un verre avec les copains. C'est tout à fait l’ambiance qu’il réussit à créer dans cet atelier d’artiste dont il se sert de salle de spectacle…la bouteille d’anisette traîne sur la grande table qui fait office de bar, dans ce lieu totalement atypique qui sent bon la naphtaline et les vieilles choses, les poutres poussiéreuses, les tomettes usées par le temps, les vieux livres, les tentures, les tableaux, les costumes qu’on y crée et qu’on expose près de la machine à coudre et de la table de coupe, on se sent un peu comme chez soi… c’est le quartier de l’arsenal des galères, parmi les anciennes voileries, huileries, l’endroit ne dépareille pas. Au centre, une estrade fait office de scène, un piano droit, une petite table, des fauteuils, un petit guéridon, deux verres et une carafe, on est dans l’intimité d’Andrée Turcy, chez nous, enfin chez elle…
Une bande-son grésillante d’un vieux reportage déroule les réponses des passants aux questions qu’on leur pose sur Andrée Turcy, cette artiste marseillaise, immense vedette du début du XXe siècle. On sent le respect des personnes interrogées qui retracent en retour la vie de celle qui fut le phare de l’Alcazar, du music-hall, du casino d’Alger…
Guillemette Lefèvre entre en scène pour chanter le Cabanon, pas de doute elle est le personnage… le physique, l’allure, les expressions, elle a tout. Elle a surtout cette façon de chanter Marseille qui la rend naturelle et tellement vraie. Jean Christophe Born lui, est un journaliste du Petit Provençal, à l’époque ce n’était pas encore la Provence, qui vient l’interviewer. Il a des étoiles plein les yeux, de l’adoration à revendre, le calepin en main, toujours prêt à noter et une enveloppe pleine de photos qui lui servira à présenter les scènes, les personnes qui ont compté pour l’artiste. Le procédé est habile, à chaque fois qu’il annoncera à Andrée Turcy une photo, elle sera projetée sur les rideaux qui bordent la scène. Chaque spectateur est ainsi convié à l’intimité de leur discussion…
Elle raconte alors ses rencontres, Henri Varna (Henri Eugène Vantard), le comédien et parolier marseillais, directeur de salles de spectacles parisiennes, les débuts de Maurice Chevalier qu’elle connut alors et tant d'autres. Guillemette Lefèvre pétille, fait chanter le public, la petite salle est pleine, les gens adorent. Le journaliste ne résiste pas à son émerveillement, les questions fusent pleines de douceur et d’enthousiasme. On ressent bien tout le plaisir qu’éprouve Jean Christophe Born, l’exaltation qu’il goûte d’incarner cet homme dont la passion pour l’artiste déborde. On traverse alors la première guerre mondiale, le dévouement, le théâtre aux armées puis le théâtre Silvain, que l’artiste affectionne pour son extraordinaire acoustique.
L'Afrique du Nord et l’Algerie qu’elle parcourt en long, en large, le tout accompagné de chansons créent une ambiance délicieusement rétro, le jeu au piano délicat de Danielle Sainte Croix la rendent en même temps joliment moderne.
Le répertoire abordé est très varié, on écoute Andrée Turcy, ou plutôt Guillemette Lefèvre, enfin on ne sait plus vraiment, chanter Mistinguett et la chanson Mon Homme, on s’en émeut et puis la chanteuse repart avec sa verve et sa gentillesse, nous conter les revues qu’elle emmenait pendant des mois entiers sans relâche en traversant la France. Puis vient encore Alger et son Casino que son époux dirigeait, on est à la veille de la deuxième guerre mondiale, ce sont les chansons comme l’Anisette, la Coloniale qui font son succès et le plaisir du public d’alors. À cet instant, on ne savait plus trop en quelle année nous étions, transportés avec elle et son journaliste, dans un autre temps… un temps où le monde avait bon cœur nous dit-elle….
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On l’aura compris, le spectacle est fait de délicatesse, de respect et d’amour pour Andrée Turcy. Jean Christophe Born qui l’a créé et mis en scène en a fait une œuvre pleine de tendresse, de poésie, de sensibilité et s’il entretient la nostalgie des années passées, il n’est jamais tombé dans un passéisme obtus. Au contraire, bien peu connaissaient avant ce spectacle, Andrée Turcy et en réhabilitant quelque part celle qui mourut simplement, il y a tout juste cinquante ans (le 3 mai 1974), il contribue à maintenir l’héritage de la musique des bords du Lacydon…il serait bon que nos édiles en prennent note.
Ultime pirouette de ce spectacle, pas de bis, mais au moment de revenir recevoir leur lot d’applaudissements, Andrée Turcy et De Bris, le journaliste, entonnèrent un ultime couplet, une nouvelle chanson, ce qui nous permit d’entendre chanter un peu plus longuement Jean-Christophe Born en ténor et d’apprécier une dernière fois, le joli timbre et les sourires charmants de l’excellente Guillemette Lefèvre. Quelle belle soirée !