Concert dans les profondeurs de la grotte Cosquer : Vieuxtemps dans « l’air » du temps
Non loin du bleu de la mer, l’association Henry Vieuxtemps propose une soirée qui danse près de l’inédit, et par bien des égards. Le lieu d’abord surprend, l’auditorium du musée de la Grotte Cosquer, trop peu utilisé et renseigné. Les circonstances ensuite, une célébration d’Henri Vieuxtemps, et inéluctablement celle de la Belgique, d’où le partenariat avec son consulat. Agnès Vieuxtemps, présidente de l’association, nous éclairera d’ailleurs sur son honorable devoir d’héritage. Introduction nécessaire, pour cerner ce compositeur trop souvent évité ! Se rejoignent alors ce soir et au service de cet objectif, Vilmos Csikos, Manon Lamaison, et Olivier Lechardeur, respectivement violoniste, chanteuse, et pianiste.
Le concert débute dans une suite d’états d’âme que portent les 6 pensées mélodiques, tirées des voix intimes. Et que ne serait un romantique sans son pathos qui lui est propre ! Vieuxtemps compose alors des émotions, et les artistes traduisent avec justesse cette vision. Douleur, espoir, Foi, Déception, Sérénité et enfin Contemplation, ces œuvres pour violon et piano nous somment de passer par de nombreuses atmosphères ; pourtant, l’intimité domine, ouvrant un cadre privilégié.
Appelant l’imagination, des harmonies surprennent parfois à la manière de Mozart : une musique qui nous sied et nous fuit à la fois, la simplicité cachant nombres de subtilités et d’innovations. Et ces procédés servent une fois de plus les caractères désirés : entre autres, le thème solennel de Foi, revenant toujours plus fort, comme une foi qui ne fait que s’endurcir, ou encore le grand dialogue de Déception, ou chacun renchérit… Qui sera le plus déçu ? Certainement pas le public, charmé par le son clair du violoniste, et la douceur du pianiste. Leur sensibilité s’unit, et touche particulièrement ; on pense Vieuxtemps comme un virtuose, mais de ces œuvres émane un charme pudique, léger, et intime ; si virtuosité est, elle sert un autre objectif, plus grand encore, non loin de la manière dont Mendelssohn pensait sa musique.
C’est là d’ailleurs toute la force de Vieuxtemps : voyageur dans l’âme, et dans la vie, sa musique déborde de références diverses. L’une d’entre elles se dégage de la deuxième pièce présentée, Duo brillant en forme de fantaisie sur des airs hongrois. L’exotisme est à la mode en Europe au XIXème siècle, que l’on connait de nos jours porté par des compositeurs comme Liszt et ses célèbres Rapsodies Hongroises.
Et ce soir, les deux musiciens ressassent cet héritage, avec beaucoup d’humour et de virtuosité ; on retrouve le tempo espiègle et dansant du friska tzigane. Les thèmes fusent, et la complicité se sent de manière unanime. Une véritable joute musicale se poursuit dans le dernier duo sans la soprano, la précieuse Élégie, écrite pour alto et piano, mais très bien portée par Vilmos Csikos. Les célèbres accords répétés sont interprétés dans un flegme, qui propose une belle résilience de la part d’un soliste, lointain souvenir de celle offerte par Gabriel Fauré dans sa propre élégie. Mais restons chez Vieuxtemps, les traits virtuoses ressurgissent, toujours dans une grande clarté… une musique en tout point vivante.
Cette quête à la découverte du compositeur belge se poursuit par une création mondiale, un air de l’opéra La fiancé de Messine, « De mon âme Mallarmé ». Adapté d’un livret signé Friedrich von Schiller, l’œuvre propose une couleur dans la lignée du répertoire italien belcantiste. Manon Lamaison, multi instrumentiste prend ce soir le rôle de soprano colorature dans cet air langoureux, une voix souple et remarquablement bien projetée.
Enfin, les sons s’assemblent dans les dernières compositions, la Fantaisie, une nouvelle création, puis le Yankee Doodle toutes deux arrangés pour leur effectif par Pacome Lélio. La symbiose une fois de plus est frappante ; la mélodie présente dans la première pièce est chantée en vocalises par la chanteuse, s’alignant au violoniste. Le thème est partagé, les glissandos à la voix imitent son partenaire ; la discussion jaillit, le courant passe.
Un bis reflétant bien le ton de la soirée nous est donné, le Salut d’amour d’Elgar, symbole de tendresse et d’apaisement. La musique de chambre est un exercice difficile, que nombreux estiment en deçà des performances d’un soliste. Mais précision importante, la qualité de son commun des interprètes témoigne d’abord d’une grande maîtrise personnelle, mais surtout d’une réflexion poussée et d’un travail de recherche remarquable. Ce ton si singulier est à retrouver dans leur disque, Voix intimes, mûr voyage à travers les pièces oubliées d’Henri Vieuxtemps.