« Piano Symphoniques », le final de l’association Arpeggione
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La musique savante a pour atout ce qui pourrait parfois, et à tort, dérouter : la pluralité de son répertoire, vaste et souvent insoupçonnée, laisse irrémédiablement en retrait des œuvres pourtant méritantes. L’association Arpeggione, dans une série de concerts, fait vivre ce répertoire. Passant en revue des œuvres majeures, le cheminement dûment choisi et réfléchi prend néanmoins le temps d’œuvrer à la découverte de pièces chargées d’intérêts, injustement méconnues du grand public.
Faisant vivre cette musique une nouvelle fois, Philippe Gueit prend l’initiative de ces concerts. Professeur au conservatoire de Marseille, le pianiste reçoit à ses côtés bon nombre de grands noms, les invitant à le joindre dans des programmes d’exception, largement représenté par la formation à deux pianos. Et plus qu’une simple représentation, les œuvres sont toujours annoncées de manière minutieuse par le pianiste.
Pour le dernier concert de cette saison, Violaine Debever fut accueillie, ancienne élève de Nicholas Angelich, et pianiste accomplie au répertoire éclectique. Leur concert permet avant tout un témoignage historique de la formation : plus encore, il retrace les différents cadres que peut recevoir ce répertoire, à la fois en œuvre d’origine, en transcription du compositeur lui-même, mais aussi par d’autre compositeur, a posteriori. Les pièces pour deux pianos, sont alors traitées comme le moyen le plus fiable de se rapprocher du timbre de l’orchestre, par superposition d’idées, de sons, recréées par des techniques purement pianistiques.
Reflétant la pluralité du répertoire des deux musiciens, cette représentation nous fait côtoyer des compositeurs emblématiques, connus pour leur singularité. Tendance chronologique, Bach nous parvient en premier lieu, avec son Concerto pour deux claviers, en do majeur. Œuvre présumément conçue pour hautbois et violon, elle image une grande partie du travail de Bach, avec des références aux concertos Brandebourgeois, un travail strict du contrepoint, et bien sûr, en découle, la fugue, ici à 6 voix dans le troisième mouvement ; les voix sont pourtant vives, claires, sans jamais d’impression d’épaisseur. Et il en est de même pour l’ensemble de la pièce : un toucher profond, mais jamais lourd. Les départs sont clairs, les pianos s’écoutent et se complètent, les gestes s’assemblent. Et c’est une impression qui perdurera le long du concert, Liszt s’imposant par la suite, dans le trop peu connu Concerto pathétique pour deux piano.
Philippe Gueit exposera lui-même le caractère difficile de son processus créatif ; d’abord œuvre de commande, Liszt la remaniera de nombreuses fois, obnubilé par l’idée de « grande forme ». Ce Concerto pathétique, aux accents virtuoses, est marqué de références à ce que sera plus tard la célèbre Sonate en si mineur. Cependant, l’âme sensible de la pièce est ailleurs ; de lentes plaintes chargées de pathos entrecoupent le discours héroïque non loin de l’extravagance (propre à Liszt), un souvenir lointain des Jeux d’eau à la villa d’Este, inspirant plus tard Ravel. Les aigus, cristallins, servent ce propos, et argumentent avec la mélodie principale. Enfin, le final, grandiose, confronte les deux pianos, l’un « râlant » dans les graves, et l’autre contrastant par son conduit mélodique dans l’héritage romantique. Ce dit héritage ne s’arrête cependant par sur ces accords triomphants, et au contraire, se poursuit jusqu'à son apogée, conduit par Saint-Saëns, puis enfin Wagner.
Le premier est illustré dans une de ces compositions majeures, transcrite pour cette instrumentarium : la Danse macabre. L’espièglerie du xylophone et la rage de la Mort accordant son violon émane et convint, par la puissance d’un piano et la légèreté de l’autre. Le second termine le concert comme il marque l’apogée d’une ère : Wagner, entre son Tristan et Isolde, et la célèbre Walkyrie issue de la tétralogie, propose ici deux passages transcrits. La mort d’Isolde vient de Max Reger, travaillant sur les effets que Liszt avait préalablement écrits. De manière évidente, l’interprétation entendue atteste d’une étude de la partition et du langage de Wagner, mettant en exergue ce qui est primordial : un lyrisme omniprésent, digne de la dramaturgie Wagnérienne. L’apothéose est signée par la Chevauchée des Walkyrie, arrangé par Ehrlich, et propose des effets sonores reproduisant l’effet de masse du compositeur allemand ; beaucoup de voix, un fond sonore permanent, dans un crescendo amenant le célèbre thème.
Un bis plus léger nous éloigne du drame chargé de rédemption ; une Samba, Brazileira, le troisième mouvement de Scaramouche, signé Darius Milhaud.
Un grand merci, une fois de plus, aux artistes, et à l’association Arpeggione, qui par ses initiatives alimente grandement la scène marseillaise.